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LE
RECUEILLEMENT DE L’IRLANDE

Dublin, 24, O’Connell street. Un haut bâtiment de briques dans la grande artère dublinoise, bruyante et populeuse. Au-dessus de la porte d’entrée, on lit : Connradh na gaedhilge, traduisez : « Ligue gaélique. » Au rez-de-chaussée, une imprimerie, qui n’imprime que de l’irlandais, ou, comme on dit là-bas, du « gaélique ; » une librairie, qui ne vend que des livres irlandais, des brochures irlandaises, des journaux irlandais. Nous montons un étage, voici des bureaux, des employés affairés : à notre première parole, — en anglais, — un Celte blond se lève et nous arrête tout net par quelques mots en irlandais dont le sens nous échappe, mais qui, vu le ton sec et dédaigneux de notre interlocuteur, nous font comprendre qu’il n’y a rien à faire ici pour les pauvres gens qui, en Irlande, sont encore aujourd’hui assez arriérés pour ne parler qu’anglais… Force nous est de quitter la place, un peu penauds, mais comprenant du moins ce qu’on nous avait dit naguère de l’étonnement, de l’agacement des Anglais, qui chez eux, au cœur des Iles Britanniques, à dix heures de Londres, et dans une ville comme Dublin, de quatre cent mille habitans, s’entendent couramment parler dans une langue qu’ils ne comprennent pas, — une langue vieille de deux mille ans ; — ou bien qui, dans l’Ouest irlandais, quand ils demandent leur chemin, se voient, dit-on, parfois répondre, en anglais d’ailleurs : No english, sir ! Quand ces Anglais-là sont observateurs et comparent l’Irlande d’aujourd’hui à celle d’il y a dix ans, ils trouvent qu’il y a quelque chose de changé dans le royaume d’Erin ; et