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Coigny, parvenue à l’arrière-saison, avait gardé, dans son regard, son sourire, sa taille, sa démarche un printemps attardé. Mais, comme ces villes vaillantes jusqu’au bout et dont la capitulation montre soudain toutes les ruines jusque-là cachées, les femmes qui se sont le plus obstinément défendues contre la vieillesse tombent tout d’un coup. Que cette jeunesse du corps abandonnât Aimée, quand la puissance de l’intelligence fournissait ses plus remarquables preuves et quand l’âme se relevait, c’était peu sans doute. Mais ce peu est le sortilège qui, faisant les hommes captifs d’un regard et d’un sourire, fait la puissance déraisonnable et d’autant plus forte de l’amour. Des que l’amour libre est réduit, pour se persuader de vivre, aux raisons raisonnables, il meurt. En 1817, Aimée de Coigny avec ses quarante-huit ans était devenue plus vieille que M. de Boisgelin avec ses cinquante, eux-mêmes bien vieux pour les folies. Et, s’il n’est pas d’âge où l’homme soit incapable de les commettre, il y a une heure où la femme devient incapable de les inspirer.

Or, pour M. de Boisgelin rendu à la liberté de son jugement, c’était bien une folie que la durée de cette liaison. En travaillant pour le Roi, Aimée de Coigny avait travaillé contre elle-même. La Restauration avait rappelé d’exil le respect. La suppression du divorce, la place rendue à l’Eglise dans l’État en même temps que se relevait le trône, attestèrent la solidarité et le rétablissement de toutes les disciplines. Non pas que l’incroyance et l’immoralité perdissent d’un coup leurs adeptes : mais, au lieu de demeurer les protégés des lois et les maîtres de l’opinion, ils trouvaient contre eux le gouvernement et le cours nouveau de l’esprit public. Bon nombre cherchèrent refuge dans l’hypocrisie, le désordre se fit discret et prit des airs sages et pieux. Mme de Coigny, trop sincère pour feindre, demeura ce qu’elle était. Mais, pour n’avoir pas changé dans un monde qui changeait, l’épicurienne jadis à la mode se trouva devenir une femme scandaleuse. La liaison que M. de Boisgelin, particulier obscur et un peu conspirateur, avait pu nouer avec elle dans des temps troublés, devenait, sous le régime de toutes les légitimités, compromettante pour le marquis de Boisgelin, pair de France et favori de la Cour. Le souci de sa fortune nouvelle eût suffi pour le mettre en garde contre son ancienne tendresse. Il n’est pas d’amant si dépravé qui ne lise une leçon de morale dans les premières rides de sa maîtresse. M. de Boisgelin n’était pas