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seulement son cœur, et comme ce cœur soi-disant infaillible se laisse prendre quand il croit choisir, elle fuit chacune de ses erreurs dans une erreur plus grande, et ses pertes de rang et de fortune ne sont pas les pires. Dans les faiblesses d’amour on peut garder intactes les délicatesses de son esprit, de son éducation, même de sa conscience qui les juge, et l’espoir de goûter un bonheur qui satisfasse mieux leur plus hautes aspirations entraîne la plupart des femmes à leur première faute. Mais l’habitude de la galanterie diminue ces exigences, déprave le goût, accoutume les plus aristocrates de nature à la vulgarité progressive des choix, et, à force d’avoir le cœur moins difficile que l’esprit, elles semblent atteintes dans leur esprit même par la maladie de leur cœur. Ainsi d’Aimée. Et comme enfin sa sincérité va jusqu’à l’impudeur, toutes ses erreurs sont publiques, et c’est d’elles surtout que se fait sa réputation.

Dès lors, il était inévitable que ses actes dépréciassent ses mérites, que la fausseté de sa situation enlevât tout crédit à la puissance de son esprit. Par la faute d’une seule faiblesse, ses opinions sages et fortes sur l’ancien régime et la société nouvelle, ses résignations vaillantes aux changemens légitimes, n’eurent pas autorité d’exemple. Assez brillante pour mettre le bon sens à la mode chez les plus mondains, assez profonde pour donner à réfléchir aux plus sérieux, égale aux situations les plus importantes, cette femme exerça sur les affaires de son temps, une seule fois, une influence clandestine, et, auprès d’un seul homme, qui avait comme elle et plus encore oublié la décence de sa condition première. Et, pour avoir mené publiquement les erreurs de son existence privée, elle était obligée d’écrire, comme un secret pour un seul ami, son intervention dans les affaires publiques et les sages conseils que ses contemporains n’auraient pas acceptés de sa folle vie.

Elle répondait : Qu’importe ? Aucun de ces avantages perdus ne lui coûtait un regret. Elle avait pris les devans, demandé au sort, en échange de tout ce qu’il lui offrait, l’indépendance dont elle savait un plus cher emploi. Elle s’était mise à l’abri de ces épreuves qui sont des justices, vulnérable seulement au cœur.

Mais à ces justices suffisait sa passion même. Tant qu’il lui resterait l’amour, rien ne pouvait la faire souffrir : pour la rendre malheureuse, ce sera assez de l’amour. Elle est, dans toutes ses aventures, atteinte du coup le plus sensible, le plus humiliant,