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certitude, qu’à remplacer l’omnipotence d’un homme par l’omnipotence d’un parlement on change seulement de mal, apparaît en ces fortes paroles : « La tyrannie n’est pas seulement l’abus de la puissance royale, mais de toute espèce de puissance. »

Pourquoi une femme, et une femme accoutumée à aimer ses amis jusqu’à aimer leurs idées, a-t-elle, sur des questions réservées d’ordinaire aux hommes, un avis personnel et une clairvoyance supérieure à celle des hommes ? Parce qu’eux travaillent, non seulement pour leurs convictions, mais pour leur parti, pour eux-mêmes, pour la richesse, pour le rang, pour la faveur. Toutes leurs passions se précipitent vers un seul moment de la monarchie ; il faut qu’elle commence. Leur bélier ne bat que la porte à ouvrir, l’essentiel pour eux est de hâter l’occasion, et, la hâter, c’est rendre le passage facile de ce qu’on veut détruire à ce qu’on veut inaugurer. Elle est détachée de tout parti, de toute caste, de tout intérêt personnel. Sa pensée n’est donc pas concentrée sur une seule partie de l’entreprise, mais s’étend sur l’ensemble ; elle ne tient pas pour essentiel que la monarchie commence, mais dure. Or le désintéressement est lumière.

La clairvoyance amoindrit d’ordinaire la docilité. L’une et l’autre se complètent en cette femme. Elle reçoit d’abord de ceux qu’elle aime, et par une partialité de cœur plus prompte que l’examen, des opinions de complaisance. Mais sa complaisance dès lors finie, elle applique tout l’effort de sa propre pensée à chercher les caractères et à prévoir l’avenir des doctrines qu’elle a acceptées. Et le même dévouement lui inspire cette contradiction. Elle croit devoir toute sa raison aux entreprises qu’elle a accueillies par tendresse, et sert deux fois leur succès, d’abord par sa soumission, puis par son indépendance. D’ordinaire, les hommes se réservent la politique comme importante, et les femmes la fuient comme ennuyeuse. La politique d’Aimée est réfléchie, prévoyante autant qu’une œuvre d’homme, mais élégante et nuancée comme une broderie de femme. Presque tout appartient à Aimée dans ses idées d’emprunt. Ses collaborateurs lui ont moins donné qu’ils n’ont reçu d’elle, ils ne voient pas si loin qu’elle ne devine, elle dit mieux qu’eux ce qu’ils pensent, et jamais M. de Boisgelin n’eut tant n’esprit que quand elle l’a l’ail parler.

S’il fallait à toute force dans ces pages politiques reconnaître une influence étrangère, ce serait celle d’une autre femme. Entre Mmes de Staël et de Coigny, Lemercier avait signalé des