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en 1871, une guerre malheureuse rétablit la souveraineté d’une assemblée. Maintenant la corruption morale et l’anarchie intellectuelle du régime parlementaire ne semblent avoir pour remède que l’accroissement du pouvoir présidentiel, un nouveau consulat, et, peu importe le nom, la prépotence d’un homme. Et, ainsi, au profit de bénéficiaires passagers, s’augmente toujours la puissance centrale qui étouffe la nation. La France se contente de changer de mal : contre celui dont elle souffre aujourd’hui, celui dont elle souffrait hier devient son remède. Personne n’ose penser aux moyens de guérir. Tant il est certain que notre esprit est trop court pour contenir toute la vérité sur rien ! tant il y a plus de fumée que de lumière dans les plus étincelans foyers de la pauvre raison humaine !


XII

La collaboratrice de Boisgelin et de Talleyrand juge mieux qu’eux leur œuvre. Elle aide, mais elle doute. À qui penserait-elle sinon à eux quand elle dit : « Les plans entiers de bons gouvernemens peuvent partir de têtes saines et de cœurs droits ; mais leur application est toujours funeste, parce qu’elle ne peut avoir lieu que sur des terrains nus, c’est-à-dire après des renversemens. » Le plus grand mal des révolutions lui semble précisément qu’elles imposent à l’intelligence la tâche d’improviser sur la ruine du passé un ordre nouveau : elle a peur de cette faiblesse orgueilleuse où « chaque homme compte pour rien le lien social, » et au nom de sa pensée solitaire, prépare « l’ordre quelconque d’un changement total. » Avec une pénétration rare elle reconnaît qu’alors « les hommes cessent d’être favorables à la société et font servir leurs qualités personnelles à des règles isolées qui tendraient à la dissoudre. » Elle comprend que l’essence de la monarchie n’est pas une hérédité de couronne dans une famille, mais une hérédité de respects dans la conscience nationale, une religion de la stabilité en toutes choses, l’intelligence contraire à l’intelligence novatrice, la défiance des réformes logiques, œuvres d’une seule pensée et d’un seul instant, et la foi dans les institutions anciennes, bonnes par le témoignage collectif et perpétué des générations qui les ont maintenues. Son regret du « temps où il y a des mœurs, c’est-à-dire des habitudes » va jusqu’à dire que « sans elles il n’y a pas d’avenir. » Et sa