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attachés à chacune par l’expérience, l’intérêt et l’honneur ? Comme la solidarité unit les hommes à travers les distances, par la similitude des travaux, elle associe, malgré la différence des conditions, ceux qui vivent groupés par le voisinage. La commune, son nom même l’indique, forme entre ses habitans la société la plus ancienne, la plus complète, et la plus familière d’intérêts immédiats et quotidiens : église, école, police, marchés, voirie, taxes, toutes les activités collectives de cette famille agrandie apportent à chacun de ses membres avantage ou préjudice, paix ou guerre, le touchent dans cet étroit espace par des contacts dont la douceur ou la blessure se renouvellent sans cesse. Même les infiniment petits, quand ils se mêlent constamment à la vie, suffisent à lui apporter de grandes joies ou de grandes douleurs, et qui sait le mieux les désirs et les besoins de la commune, sinon la commune ? De même le cohéritage des souvenirs historiques, les analogies du climat, du sol, des travaux, des caractères, des coutumes, assemblent les communes par provinces : qui encore peut comprendre et servir le mieux chaque province, sinon elle-même ? Les provinces enfin se rattachent les unes aux autres pour représenter dans le monde les idées et la force d’une race et d’une pairie communes. C’est cette unité qui avait trouvé dans le roi son gardien et son symbole. Il était la défense du sol national, la conquête du sol ennemi, la sollicitude du rang qu’un peuple doit tenir parmi les peuples, la prévoyance lointaine et l’énergie continue des mesures intérieures qui préparent la nation à son rôle dans le monde.

Loin que la royauté fût, en date, en étendue, en importance, la première des autorités, elle venait, par son avènement historique, la dernière, et, si les intérêts dont elle avait charge n’étaient pas les moins élevés, ils étaient les plus étrangers aux préoccupations habituelles des hommes et au gouvernement de leur vie quotidienne. L’Etat, de par sa fonction, avait le droit d’empêcher que les intérêts individuels, locaux ou corporatifs n’oubliassent, dans l’égoïsme de leur autonomie et dans l’ardeur de leurs rivalités, l’union nécessaire de la race ; Il devait par son arbitrage concilier ces indépendances avec l’unité. Il n’avait pas plus mission pour se substituer aux autorités particulières de chaque groupe humain que pour se subordonner les puissances civilisatrices de toute société. Or, non seulement la famille de Bourbon avait supprimé l’autonomie des communes et des provinces,