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un chiffre et un signe convenus, par lesquels il m’avertira, par exemple, si l’Empereur accepte ou non des propositions de paix. Il faut parler hautement de ses torts, de son manque de foi à tous les engagemens qu’il avait pris pour régner sur les Français. On ne doit pas craindre de prononcer encordes mots nation, droits du peuple, il s’agit de marcher, et l’expérience a resserré en de justes bornes l’expression de ces mots-là. » Je revins chez moi enchantée et jamais M. de Boisgelin n’a goûté une joie plus pure.


Talleyrand, qu’ils croient lié, a seulement ajouté un fil à l’entrelacement des combinaisons qui aboutissent à sa main attentive et encore immobile : il lui suffit d’être rattaché à tout ce qui devient possible. Vous rappelez-vous, dans Guerre et Paix, Kutusow ? Il est à Borodino : de tous côtés lui parviennent les nouvelles, partout on demande ses instructions, ses secours, sa présence ; lui, ne décide, ni n’apparaît, ni ne se meut. Il laisse mûrir la bataille. Tandis qu’on attend ses ordres, il attend les ordres de la fortune, il sait n’être que le premier lieutenant de l’occasion. Et, alors seulement qu’elle apparaît et commande, cet entraîneur d’hommes les mène où il la suit. De même Talleyrand, pour se décider lui-même, veut connaître les desseins définitifs des souverains, qui ne sont pas d’accord entre eux, et de Napoléon, qui, tantôt résigné à traiter, tantôt ardent à combattre, ne semble pas d’accord avec lui-même. Le Congrès de Châtillon apporta cette clarté décisive. L’entente de l’Europe s’était formée : pour obtenir la paix, la France devait reculer jusqu’à ses frontières de 1789. Si un Français ne pouvait anéantir, par son consentement à une telle paix, toutes les conquêtes de la Révolution, c’était le chef couronné de cette révolution, et couronné par ses victoires. Son incapacité à rien retenir non seulement des royaumes rattachés par lui contre la nature à la France, mais des frontières naturelles gagnées par les généraux de la République sur l’Europe provocatrice, deviendrait-elle le titre de Napoléon à régner sur le vieux sol acquis par l’ancienne royauté ? Une telle paix, Napoléon l’avait dit lui-même, ne pouvait être signée que par la famille absente de l’histoire depuis 1789, par les Bourbons. Lui, devait vaincre ou disparaître. Talleyrand juge l’avenir fixé. Il ne se contente plus de recevoir Mme de Coigny, il se rend chez elle.

Un jour, M. de Talleyrand vint me voir et me dit : Il serait nécessaire d’arranger tout ceci d’une manière noble et sérieuse. Bonaparte vient encore de refuser la paix à Montereau. Son petit succès lui tourne la tête, et il parle de