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Sans pousser aussi loin que l’Espagne et la Hollande l’exercice du droit du plus fort, un pays qui a fait des sacrifices pour l’acquisition pacifique ou à main armée d’un domaine colonial est socialement fondé à prétendre se couvrir des avances engagées. Quand un gouvernement sollicite des crédits pour ce genre d’opérations, il a soin de faire valoir, en première ligne, l’avantage qui résultera pour le pays de la mainmise sur une clientèle indigène à équiper de pied en cap, — et, s’il n’ajoute pas immédiatement que cette fourniture sera strictement réservée à l’industrie nationale, c’est pour ne pas éveiller dans un moment inopportun les susceptibilités des nations concurrentes.

Aussitôt l’occupation effectuée, la pacification assurée, on voit la métropole inonder de ses produits la nouvelle colonie et s’étonner s’ils ne sont pas absorbés du jour au lendemain ; ce phénomène se rattache à une vérité économique qui ne se rencontre peut-être pas dans les ouvrages spéciaux, mais dont je me permettrai de présenter la formule empruntée à la doctrine de M. de La Palisse : « C’est que, pour acquérir un objet, s’il n’est pas toujours suffisant d’en avoir besoin, la condition nécessaire c’est d’en pouvoir payer le prix ; » or, le pouvoir d’achat des populations primitives, — dénuées du savoir-faire et du matériel indispensables à la mise en valeur de leurs territoires, et assoupies dans une paresse que justifie jusqu’à un certain point la modestie de leurs appétits, — est directement en rapport avec leur faculté de production ; c’est-à-dire qu’elle est à peu près nulle, particulièrement au lendemain d’une guerre dont l’effet habituel est d’interrompre la culture.

Si l’on veut leur créer des ressources, il est indispensable de les amener au travail, de leur fournir un outillage et de leur enseigner des méthodes appropriées. Pour ce qui est de l’outillage et de l’industrie agricole, nous avons vu de quelle façon ont procédé la Hollande et l’Angleterre, qui s’en sont trop bien trouvées pour que l’on ne tombe pas d’accord sur l’opportunité de suivre leur exemple ; il n’en va pas de même du premier point, qui est, comme disent les mécaniciens, le point mort de la question, et c’est de ce démarrage que dépend la mise en train du mécanisme économique.

Depuis l’abolition de l’esclavage, — dont ne s’est pas relevée la légendaire prospérité des colonies espagnoles et des