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ne les regarde pas. Les badauds et les loustics de Rome semblent avoir bien saisi quelques-uns des travers que les voyageurs de notre pays, aujourd’hui comme alors, exposent trop souvent, avec une suffisance inconsciente, à l’animadversion des peuples qu’ils visitent. Ils sont vaniteux et méprisans : « Ils ne savent pas ouvrir la bouche sans parler de Paris. » Ils sont difficiles : « Tout ce que le pays produit les dégoûte, poulets, légumes, gibier, poissons, œufs et viande de boucherie. » Ils jugent tout, trouvent à redire à tout, proposent à tout des remèdes de leur cru. « Quelle rage, d’entendre ces étrangers d’outre-monts qui, sans être Romains, arrivent aujourd’hui par la Porte du Peuple, et demain en savent plus que les vrais Romains ! »

À leur place assurément les vrais Romains seraient moins blessans, étant plus polis. Mais ils ne seraient guère plus discrets. Car, s’ils ne sont point vantards, ni outrecuidans, ils aiment à trouver des raisons, des explications, des justifications à tout. Spéculatifs et beaux parleurs, ils raisonnent avec une confiance, une ingénuité, une candide largeur d’esprit, qui les rendent aussi intéressans par l’intelligence que par le caractère. L’un d’eux vient de voir des squelettes. Il les a étudiés attentivement ; il fait part de ses découvertes et tire ses conclusions : « En regardant ces squelettes, je me suis aperçu d’une grande chose, et cette grande chose est celle-ci : c’est que l’homme vivant, comme l’homme mort, a une tête de mort dans sa tête. Et j’ai découvert ainsi que, beaux ou laids, princes, coquins ou monsignors, cette tête que je dis, ils l’ont tous. Donc les bons et les méchans, les fous, les ânes et les docteurs, ont été morts avant d’être vivans. » Cette faculté de raisonnement dégage, de l’observation des phénomènes naturels, et surtout de la réflexion sur les dogmes et sur les questions théologiques, un comique un peu gros parfois, mais franc et de bon aloi. Sans doute, il est facile à Belli, en asservissant à ses opinions antireligieuses du moment cette disposition de l’esprit romain, de multiplier les plaisanteries sacrilèges sous couleur de vérité psychologique et de sincérité artistique. Il n’y manque pas, et nombre de ses sonnets s’achèvent, d’un air innocent, sur des blasphèmes trop visiblement calculés, où l’on sent que l’auteur a trop de part et prend trop de plaisir. Néanmoins il importe de ne pas mettre à la charge de Belli toutes les fautes contre la délicatesse, le bon goût et les égards dus à certains sujets, qu’on rencontre presque à chaque page