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d’esprit, sans doute naturelle et entretenue par un régime politique déprimant, s’étaye au moins d’un semblant de doctrine. Ces


gras habitans du Tibre,
Enfans dégénérés d’un peuple qui fut libre,


— pour user d’une périphrase indignée de Barbier[1], qui les voyait en laid quand Stendhal les voyait en beau, — ces Romains sont fatalistes, et d’un fatalisme renforcé de pessimisme. Selon eux, le monde « est un magasin de malheurs en gros et en détail. » La vie n’est pas gaie. Ecoutez-en le programme : « D’abord langes, baisers, lait, larmes ; puis en lisières, en petite robe, avec le bourrelet… Puis commence le tourment de l’école, l’ABC, le fouet, les engelures, la rougeole, la diarrhée, et un peu de scarlatine et de petite vérole. Puis le métier, la faim, la fatigue, le loyer, les prisons, le gouvernement, l’hôpital, les dettes…


Le soleil l’élé, la neige l’hiver,
Et puis, pour bouquet, — que Dieu nous bénisse ! —
Vient la mort, et tout finit par l’Enfer. »


Avec une telle perspective et la conviction que Dieu veut qu’il en soit ainsi, — à l’Enfer près, — ou ne peut pas montrer une grande énergie, et il y a déjà quelque mérite à jouir des joies fragiles, « collées à la salive, » comme dit un Romain, dont est semée cette existence misérable. La résignation est la plus nécessaire des vertus, la seule nécessaire : « Murmurer de Dieu est la consolation des sots… Quand, la nuit, il n’y a pas de soleil, il faut se contenter de la lune. » La foi chrétienne embellira, chez quelques-uns, cette passivité, et leur abandon à la volonté de Dieu leur adoucira le présent et teindra l’avenir du reflet radieux de leur espoir. Mais la foi n’est pas bien efficace chez, la plupart des Romains de Belli. Elle est vive, elle est solide ; mais elle n’agit guère en eux, elle ne les transfigure pas. C’est un bon et sincère accommodement avec le ciel, qui ne les empêche nullement de pester contre la vie, et contre leur prochain. Ces philosophes de cabaret ont sondé jusqu’au fond la misère humaine, le secret fangeux des cœurs. Ils n’ont plus d’illusions ; on dirait qu’ils n’en ont jamais eu. « Une belle malice, une belle gloire, ricane l’un d’eux, de savoir réciter ces fariboles-là !… Qu’est-ce

  1. Il Pianto.