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déclare le Romain, pape Grégoire, dis au gouverneur que ton peuple du Trastevere, si on lui ôte les osterie, va faire des horreurs ! »

À tout prix, ils veulent s’amuser. Vojjo svariàmme, « je veux m’amuser, » est la réponse ordinaire des jeunes gens aux reproches de leurs mères, des hommes à ceux de leurs femmes. Le « divertissement » dont parle Pascal leur est plus nécessaire qu’à personne. Tous les jeux leur sont bons, jeux de cartes, jeux de hasard, « jeux à boire. » La plupart sont enfantins, et, en eux-mêmes, ridicules. La passatella, par exemple, un des jeux favoris, est d’une rare niaiserie, quoiqu’elle remonte aux anciens. On fait apporter du vin et chacun en paie sa part ; puis on tire au sort celui qui choisira le maître de la « beuverie, » le padrone ; et celui-ci a le droit de faire boire ou d’empêcher de boire qui il lui plaît. Il n’y a qu’un verre pour tous, que le buveur désigné par le padrone doit vider d’un seul coup. On obéit au padrone immédiatement et sans réplique. On reconnaît là le « roi du festin » qui figure chez Horace, l’ « empire du vin, » regnum vini, dont parle Cicéron ; et l’on a peine à croire que jamais gens d’esprit aient trouvé quelque agrément à cette institution bachique et aux incidens par trop prévus qui en dérivent. Pourtant, et bien qu’Horace, en un jour de simplicité rustique, en ait jugé les lois un peu bêtes[1], il est certain que les plus élégans viveurs de la Home antique y prenaient plaisir ; et leurs descendans, qui ne sont point sots, ne passent guère de soirée sans jouer à la passatella. Leur « maître du vin » est souvent tyran nique à dessein ; ses sujets sont impatiens ; et, pour peu qu’il s’obstine à refuser le verre à l’un des buveurs, les insultes jaillissent, et les couteaux brillent.

Le couteau, c’est un jeu encore, pour des braves. Les Romains sont braves. Ils sont braves comme ils sont insoucians ; ils risquent leur vie comme leur argent, sans penser au lendemain. Ils vivent au jour le jour, presque aussi heureux en prison qu’ailleurs, dociles aux circonstances, peu avides de l’avenir, où ils mettent peu de confiance. Cela encore est chez Horace ; et chez le Romain de Belli, comme chez le poète des honnêtes gens du temps d’Auguste, cette indifférence paresseuse, cette légèreté

  1. Siccal inæquales calices conviva solutus
    Legibus insanis.
    (Satires, livre II, satire VI, vers 68-69.)