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Par sa position géographique, l’Angleterre était plus intéressée que toute autre nation à la prodigieuse activité des échanges qui devaient nécessairement résulter de la liberté douanière : en premier lieu, parce qu’elle se trouvait être le grand entrepôt du monde, l’intermédiaire universel, auquel (pour ne citer que ce qui nous concerne) nous expédions annuellement de 12 à 1 400 millions de marchandises, dont plus de la moitié s’en vont sur ses navires aux quatre coins du monde. Cette entremise a sans doute son prix, mais nous en ferions l’économie le jour où notre marine nous offrirait les conditions de bon marché que les transporteurs anglais réalisent par la supériorité d’une organisation fondée sur la multiplicité des transactions, l’activité ininterrompue du matériel et l’abondance du fret de retour d’un pays qui a du charbon à échanger contre les marchandises du monde entier[1]. Il y a là une réfutation péremptoire de l’argument qui nous représente l’Angleterre comme notre meilleure cliente, on a même dit pittoresquement comme notre meilleure colonie.

Ce travail à menu profit, inspiré du principe « vendre bon marché pour vendre beaucoup, » assure aux transporteurs anglais, en temps normal, un notable avantage sur leurs compétiteurs, moins bien placés ou moins bien organisés, mais cela ne va pas sans de graves périls : l’immobilité momentanée, le simple ralentissement d’une circulation maritime qui ne comporte pas un écart bénéficiaire important, tournerait vite au désastre, alors que nos opérations plus restreintes trouvent dans une plus ample marge de profits l’assurance qui permet de supporter les chômages. Le commerce maritime anglais, pour lequel c’est une nécessité impérieuse de travailler à tout prix, avait donc plus de raisons qu’aucun autre de rechercher tout ce qui pouvait contribuer à faciliter sur la surface du globe le développement d’un trafic dont la majeure partie, jusqu’à présent, devait lui passer par les mains.

D’autre part, l’Angleterre tire du dehors les quatre cinquièmes de sa subsistance. Donc, loin d’avoir une agriculture à protéger contre la production vivrière du dehors, elle est dans la nécessité, de favoriser l’introduction des denrées au plus bas

  1. Encore une suprématie que vont lui disputer les houillères des États-Unis, du Japon, de l’Afrique du Sud, du Tonkin et de la Russie, pour ne pas dire du monde entier.