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tyrannies de la mode ne gâtent que les œuvres écrites, destinées au public, et où les lettrés mettent leur faire. Quand ils oublient la postérité et se reposent de leurs œuvres dans la conversation, l’esprit français, sous toutes les écoles et malgré elles, garde sa grâce, son goût, sa mesure, son indépendance et la malice ailée de ses traits. Ainsi les mêmes auteurs dont les vers et la prose ont la même pauvreté solennelle et représentent dans la littérature le style empire, dès qu’ils déposaient la plume, redevenaient Français, c’est-à-dire aimables et brillans. Aimée entra en relations avec les plus connus d’entre eux. À ces hommes d’esprit elle apporta le sien, qui n’était inférieur à celui de personne, et sa renommée s’établit vite parmi ces faiseurs de réputations. L’aptitude de son intelligence à entrer dans les goûts de ceux avec qui elle vivait lui inspira sa première tentative de devenir auteur. Puisqu’il n’y avait plus de roman dans sa vie, elle en tira un de son imagination, et écrivit Alvar. Je n’ai pu retrouver le livre. Elle ne l’avait édité qu’à vingt-cinq exemplaires. Si son pied fin laissa voir un bout de bas bleu, on ne pouvait mettre dans le geste plus de réserve. Et cette indifférence de grande dame pour le suffrage de la foule contraste fort avec la fureur de notoriété banale qui, aujourd’hui, révèle des goûts de parvenues en tant de femmes fières de leur race.

Mais, faute qu’elle eût par des succès d’auteur changé de renommée, et comme si l’on ne pouvait avoir le goût des lettres sans l’envie de se faire valoir par elles, ses biographes n’ont pas voulu croire à cette trêve où le cœur s’endormait aux jolies chansons de l’esprit. Obsédés par sa gloire d’amoureuse, ils n’ont pas admis la lassitude ni le repos de son cœur. L’unité du caractère dans leur héroïne exigeait l’ininterruption de ses faiblesses. Ils ont dans sa retraite éventé une ruse, cru que son amour de la littérature avait été son amour de certains littérateurs. Qu’elle ait eu pour Lemercier de l’admiration, elle n’en a jamais fait mystère. Que cette admiration ne fût pas méritée par le talent, c’est l’avis d’aujourd’hui, ce n’était pas l’avis d’alors : et, heureusement pour les honnêtes femmes qui s’enthousiasment d’œuvres médiocres, les preuves de mauvais goût ne sont pas des preuves de mauvaises mœurs. D’ailleurs, Lemercier méritait l’attachement par son caractère ; le caractère, à soixante-dix ans, n’inspire plus d’amour ; et Lemercier n’était pas seulement vieux, mais infirme, à moitié paralysé. Les ardeurs mêmes d’Aimée