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la jeune duchesse de paraître pour conquérir la société, on pourrait dire la cour du duc d’Orléans[1]. Mais Mme de Genlis était née institutrice pour faire la leçon aux succès des autres. Dès 1804, hâtive comme l’envie, dans un livre qu’elle ne signa pas et où les victimes de sa mémoire étaient, sans être nommées, enlaidies avec assez d’art pour demeurer reconnaissables, elle avait dit Aimée « légère, étourdie, avec des accès de gaîté qui ressemblent un peu à de la folie, » et « quelque chose d’indécent[2]. »

Bien autres furent les sentimens inspirés par la duchesse à Mme Vigée-Lebrun. La grande artiste qui a rendu impérissables pour nous les dernières grâces de l’aristocratie française avait aussi une plume, bien qu’inégale à son pinceau. Ses Souvenirs, publiés en 1828, présentent ainsi la femme qu’elle avait connue durant la dévolution : « La nature semblait s’être plu à la combler de tous ses dons. Son visage était enchanteur, son regard brûlant, sa taille celle qu’on donne à Vénus ;… le goût et l’esprit de la duchesse de Fleury brillaient par-dessus tout. » C’est l’œil difficile du peintre qui juge cette beauté du corps : les autres mérites ont gagné le cœur de l’amie. Elle est d’autant moins suspecte quand elle ajoute : « Cette femme si séduisante me semblait dès lors exposée aux dangers qui menacent tous les êtres doués d’une imagination ardente. Elle était tellement susceptible de se passionner que, en songeant combien elle était jeune, combien elle était belle, je tremblais pour le repos de sa vie ; je la voyais souvent écrire au duc de Lauzun, qui était bel homme, plein d’esprit et très aimable, mais d’une grande immoralité, et je craignais pour elle cette liaison, quoique je puisse penser qu’elle était fort innocente… La dernière passion qu’elle prit s’alluma pour un frère de Garat[3]. » La bienveillante observatrice admet, il est vrai, qu’aimer n’est pas faillir. Mais, bientôt après, les Souvenirs d’une autre contemporaine, la baronne de Vaudray, donnaient des détails peu platoniques sur l’aventure avec Garat[4], et le caprice pour Lauzun n’avait pas semblé plus pur à un autre témoin, Horace Walpole.

  1. « Mme de Fleury était fort jolie. M. le duc de Chartres l’aimait tellement qu’il l’appelait sa sœur, elle l’appelait son frère. » Mme de Genlis, Mémoires, t. IV, p. 348. Paris, Lavocal. 1825.
  2. Souvenirs de Félicie, p. 180.
  3. Mme Vigée-Lebrun, Souvenirs, t. II, p. 60-62.
  4. Souvenirs du Directoire et de l’Empire, par Mme la baronne de V… Paris, Cosson. 1847.