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D’autres femmes, beaucoup d’autres femmes, en Russie, se sont données à des œuvres philanthropiques. J’en sais qui ont fondé des hôpitaux et des écoles ; qui, en temps de guerre, se sont faites sœurs de charité, comme on appelle là-bas les infirmières de la Croix-Rouge ; qui, dans les crises terribles de la famine, ont porté leurs soins, leur argent, aux affamés et aux malades, vivant au milieu de scènes déchirantes, se vouant à la mission d’anges secourables. Mais, chez presque toutes ces femmes, plus nombreuses en Russie qu’ailleurs et dont je salue l’héroïque dévouement, il y a d’ordinaire une certaine volonté de garder en main le gouvernail, de diriger les choses selon leurs lumières, des idées de prosélytisme, que sais-je ? une certaine joie d’inspirer aux malheureux secourus les sentimens de l’enfant qui s’attache à sa mère, ne veut pas la quitter. Avec Hélène, rien de pareil. Tout son désir est d’apprendre à ce peuple, trop disposé à s’appuyer et à obéir aveuglément, l’art de se gouverner lui-même. Elle n’exerce aucune pression sur personne, n’attaque ni les superstitions qu’elle désapprouve, ni des usages qui lui paraissent légués par la barbarie. Les livres feront leur œuvre avec le temps ; il en jaillira des idées ; elle apprend donc à lire aux paysans et elle leur donne l’exemple d’une vie de dévouement volontaire ; c’est assez. Tout le reste viendra… Mais avec quelle lenteur !

— Nos Petits-Russiens sont apathiques, dit-elle. Observez-les quand on les appelle ; ils regardent à droite, à gauche, avant de se décider, puis ils avancent sans aucune hâte. Et ils font de même pour tous les actes de la vie.

Il en est qui, même intelligens, se refusent à employer cette intelligence sur les livres. Cependant, presque tous les garçons savent lire aujourd’hui, une bonne école leur a procuré des avantages inconnus à leurs parens. Parmi ces petits, on en voit de très éveillés, qui obtiennent de bons certificats d’études. Mais souvent aussi se produit chez eux ce qui a été remarqué pour beaucoup d’Orientaux : ils s’arrêtent en chemin, leurs facultés, sur lesquelles on avait compté, s’engourdissent, la mémoire leur fait défaut tout à coup. Un futur instituteur, par exemple, est forcé de se rabattre aux fonctions de jardinier. Quand encore ils se résignent à déchoir ! Mais il y a les obstinés qui vont jusqu’au bout de la course et qui en meurent. Hélène me raconte l’histoire d’un jeune Cosaque des environs. Il vint un