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l’exactitude, et ne consentant à les aider qu’à la condition qu’ils s’aideront eux-mêmes. Un jeune homme demande pour son père un délai de quinze jours ; elle l’accorde, mais sans promettre d’attendre davantage. Tout en recevant les sacs de roubles qu’on lui remet, car presque tous payent en grosse et lourde monnaie blanche, elle s’intéresse à leurs affaires, discrètement, en attendant sans le provoquer ce qu’ils peuvent avoir à lui dire, car elle a les idées les plus délicates sur la réserve que l’on doit apporter dans les rapports avec ceux qui sont qualifiés d’inférieurs ; quand elle envoie quotidiennement du lait de ses vaches à tel malade, ou des médicamens à tel autre, il n’y a dans sa façon d’offrir rien qui ressemble à la charité, un mot dont jamais elle ne se sert. Habitudes de bon voisinage, attentions qui lui seront rendues par de menus services. Le genre de philanthropie qui consiste à donner de l’argent sans y ajouter son propre travail, son propre effort, est considéré par elle comme dangereux. De là son indignation contre ceux qui voudraient lui accorder plus de mérite qu’à une autre, dans l’œuvre accomplie. Ses capitaux ? Elle les compte pour rien. Le véritable don est celui que ses collaboratrices autant qu’elle-même ont fait de leur temps, de leur savoir, de leur cœur.

La servilité lui déplaît. Les fermiers le savent et la plupart d’entre eux s’arrêtent craintifs dans le mouvement ébauché pour lui baiser la main. A l’occasion, elle rend la justice, comme saint Louis au pied de son chêne, qui se transforme ici en un très grand érable. Un fermier, par exemple, vient dénoncer certains Cosaques qui profitent de ce qu’elle loue ses terres à bon compte pour en prendre et les sous-louer avec bénéfice aux Théodoriens, tantôt aux plus pauvres, à ceux que la paresse ou le désordre a dépossédés de leur bien, tantôt au contraire à ceux qui, ayant réussi par leur industrie, désirent plus de terres qu’ils n’en ont.

Tous, dans ce trafic, sont coupables, ayant violé des conventions expresses, un règlement rigoureux. Elle fait comparaître devant elle exploiteurs et exploités, rompt les contrats, donne à chacun sa part de blâme et jusqu’au bout est écoutée avec le plus grand respect par ces hommes qui ont la mine penaude d’enfans en pénitence. Combien, même dans une Arcadie dont l’existence est fondée sur la répartition égale des biens entre tous, est-il difficile d’empêcher les abus, sans parler de l’impossibilité de