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vêtemens. Je ne sais quelles mains invisibles semblent nous bombarder de tous côtés. Mais les inconvéniens de la pluie en Petite-Russie sont vite effacés par ses bienfaits. En si peu de jours, la steppe brunâtre a reverdi comme sous le coup de baguette d’une fée ; elle est partout couleur d’émeraude, on dirait une résurrection.


25 août.

Je voudrais savoir peindre la petite Sonia, son visage un peu trop rond, frais comme une fleur, ses yeux un peu obliques sous leurs sourcils bruns tracés au pinceau, le front très blanc où frisotte la chevelure presque blonde, retombant par derrière en une grosse natte. Avec cela, un petit nez droit, une bouche aux belles lèvres rouges. Les bras potelés sortent nus jusqu’au coude de la manche bouffante ; la grosse toile molle d’une chemise brodée s’adapte aux courbes et aux rondeurs qu’elle recouvre ; la jupe assez courte, en cotonnade rose, laisse voir les chevilles fines et de gentils pieds nus. Dans notre maison, où elle est femme de chambre, on n’obtient pas qu’elle se chausse un autre jour que le dimanche. La physionomie de Sonia est celle d’un enfant, elle exprime l’innocence, une hardiesse naïve. Lorsqu’elle vous regarde droit dans les yeux, en riant de son rire cristallin, vous sentez qu’elle est incapable du moindre détour. Et cependant, la nuit, quand s’entre-croisent les coups de sifflet diversement modulés dont chacun a un sens que sait reconnaître chacune des jeunes filles du village, il y a plus d’un appel, assure-t-on, pour Sonia. Elle ne se pique pas de constance ; ses brusques caprices indiquent peut-être que son cœur ne s’est jamais donné. Ferme-t-on la porte le soir ? Elle saute par la fenêtre comme un jeune chat, et le malin la retrouve avec son sourire ingénu, son beau regard de hardiesse confiante. Prompte à tout saisir, l’esprit vif et ouvert, elle s’est mise depuis mon arrivée à apprendre le français, c’est-à-dire qu’elle se fait traduire les mots dont elle peut avoir besoin pour le service de la dame étrangère et les écrit en caractères russes comme ils se prononcent. Sur ce point, son oreille très juste ne la trompe jamais. Et alors elle vient me réciter sans accent de petites phrases comme : « Le dîner est servi, la chambre de Madame est prête, » en jouissant de ma surprise avec des exclamations joyeuses, de petits cris d’oiseau. Très attentive aux conversations en français, elle saisit un mot par-ci par-là :