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chaume confondus avec les meules de paille ; figurez-vous une agglomération de grosses ruches capricieusement plantées sans aucune prétention à l’alignement, des ruches silencieuses, tout le monde étant aux champs. Sauf le dimanche, on les croirait abandonnées, n’était le mince filet de fumée légère qui monte çà et là. Au-dessus du village trois moulins, relativement haut perchés, font de grands gestes sur le ciel clair. Leurs ailes mêmes sont en bois, le vent de la steppe étant de force à faire tourner des battoirs.

Les moulins représentent un des traits caractéristiques du paysage, et le vent aussi, je m’en aperçois au débotté quand il emporte mon chapeau.


Nous sommes sur la « place, » une immense prairie brûlée par lardent soleil d’août. On dirait une nappe de velours brun. Elle sépare du village la demeure de mon amie ; celle-ci avec toutes ses dépendances se cache à demi entre les érables, les peupliers, les arbres à fruits. On dirait qu’elle s’efforce de ne pas humilier les chaumières environnantes et, de fait, l’école, la jolie maison de l’institutrice ont des toits de chaume, les écuries, les magasins de blé sont en bûches apparentes comme celles du log-house américain. Il y a deux bâtimens à toiture de tête : le plus important des deux, l’habitation qui va me recevoir, n’a qu’un seul étage. Il est solidement construit à la mode du pays, c’est-à-dire que la charpente est en bois et les intervalles des planches remplis par de l’argile où entrent des morceaux de brique, le tout recouvert de feutre sur la paroi intérieure. Revêtue partout de stuc, cette maison est blanche au dehors et au dedans. On y accède de deux côtés par un haut perron de bois qui, avec les assises de brique, préserve ce rez-de-chaussée contre l’humidité. Le toit peint en vert avance de façon à former une vérandah qui abrite des berceuses, des sièges rustiques, tout un établissement d’été. Quant à la beauté architecturale, une magnifique vigne vierge en fait les frais, elle retombe autour du porche comme un dais de verdure sombre où l’automne mettra de la pourpre. La vigne vierge est la parure de toutes les maisons de campagne en Petite-Russie ; leurs lignes, si elles en ont, disparaissent sous ses festons mobiles. A l’ombre de cette tenture de fête, des oiseaux apprivoisés gazouillent et sautillent. J’ai tout de suite l’impression qu’ici la distance est