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le comte de la Marck opérait une sortie avec la garnison. Ils n’éprouvèrent, cette fois, aucune espèce de résistance. Dès qu’il se vit placé « entre le feu de la ville et le nôtre, » — et craignant, au surplus, de voir survenir tout à coup le corps demeuré en arrière, — le prince d’Orange, à dix heures du matin, prit le parti de lever ses quartiers, et se retira rapidement avec le comte de Horn dans la direction de Bodegrave, laissant comme gage de sa défaite neuf canons, trente drapeaux, cinq cents hommes prisonniers, plus de deux mille morts ou blessés. La lassitude des troupes françaises, — « harassées et recrues, dit M. de Saveuse, et hors d’état de combattre davantage, » — ne permit pas de le poursuivre et de changer son échec en déroute. Luxembourg, dans une lettre intime adressée à Condé, laisse percer le chagrin qu’il eut de cet arrêt dans la victoire : « Si M. de Genlis avait suivi mes ordres par écrit, je battais sûrement le comte de Horn, et je ne sais ce qui serait arrivé de M. le prince d’Orange, qui faisait des contenances à se faire battre, n’ayant pas l’esprit de prendre aucun parti, se retirant pourtant et rompant les ponts derrière lui, et puis faisant mine de s’en retourner vers nous, et laissant ses troupes les unes sur les autres… Je n’aime pas à faire de manifestes contre personne, et j’ai promis à Genlis de ne me point plaindre de lui ; mais je ne lui suis pas garant de la voix publique, ni de ce que dit toute l’armée[1]. »

Vers midi, Luxembourg fit son entrée dans la ville de Woerden, reçu « avec des applaudissemens incroyables de toute la garnison. » Le siège avait duré quarante-huit heures à peine ; une journée de retard, et la place « battait la chamade. » Dans le cours de l’après-midi, on vit venir un gros détachement d’infanterie. C’était le renfort de Genlis qui arrivait six heures après la fin de la bataille, ayant mis vingt-quatre heures à parcourir le même trajet que Luxembourg et ses soldats avaient fait en une seule soirée. En vain Genlis allégua-t-il le mauvais état des chemins, l’inondation, les fossés pleins de boue ; l’opinion refusa de se payer de ces raisons, et l’armée tout entière accusa sa mollesse d’avoir fait avorter les meilleurs fruits d’une si glorieuse victoire. Luxembourg cependant, fidèle à sa parole, s’abstint de le charger dans son rapport au Roi ; mais Robert et Stoppa ne

  1. Luxembourg à Condé, octobre 1672. — Archives de Chantilly.