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succès : « Le ministre et son troupeau, poursuit le récit de Saveuse, s’employèrent avec un empressement extrême à nous témoigner leur affection pour M. le prince d’Orange, recommandant sur toutes choses que l’on coupât la tête à tous les Français, et ils insistèrent sur ce qu’il fallait bien prendre ses mesures, car ils étaient des gens très difficiles à battre. » Ils décrivirent avec sollicitude l’exacte position du quartier de M. de Zuylestein, l’emplacement de ses troupes et la nature de ses défenses, ajoutant qu’il avait omis de détruire le pont du village et que, par cet oubli, le canal de Camerick pourrait être franchi sans peine.

Pendant deux heures encore, on attendit vainement le marquis de Genlis. L’aurore était près de pointer quand, ne pouvant différer plus longtemps, le duc donna le signal de l’attaque. Le plus proche obstacle à forcer était une sorte de redoute érigée autour d’un moulin, poste solide, muni de troupes et de canons. Le régiment de Navarre fut désigné pour cette besogne. Luxembourg se mit à sa tête et « sauta le premier dans l’eau ; » mais il fit un faux pas, disparut sous la nappe liquide ; un instant on le crut noyé. Un « cri furieux » s’éleva dans les rangs des soldats, un cri contre Montbas, que tous voyaient avec méfiance et que l’on accusait déjà d’avoir voulu, par trahison, faire périr un chef populaire. Il fallut que le duc, lestement sorti du danger, fit éloigner en hâte l’objet d’un injuste soupçon, l’envoyant en arrière chercher des nouvelles de Genlis. Au reste, l’incident ne fit qu’animer davantage l’ardeur extraordinaire des troupes. Leur élan les porta d’un bond jusqu’au pied même de la redoute qu’ils escaladèrent en courant. Les défenseurs, surpris, se virent débordés de toutes parts, sans avoir eu le temps « d’allumer même les mèches de leurs mousquets. » Leur résistance fut courte ; beaucoup furent massacrés ; bon nombre se noyèrent ; d’autres se rendirent prisonniers.

Le malheur fut que les vainqueurs, sans que leurs officiers eussent pu les retenir, missent le feu au moulin perché au haut de la redoute. La nuit étant encore obscure, ils prétendaient par ce moyen découvrir la fuite de l’ennemi, lui couper la retraite et pousser leur victoire[1]. Cette imprudence leur coûta cher. Tandis que Luxembourg, après le succès de l’assaut, amenait sur

  1. Relations véritables des Pays-Bas. — Bibl. de Bruxelles.