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Luxembourg fut en partie redevable du succès éclatant de ses premières opérations ; et le rôle de ce personnage, — non moins que ses singulières aventures, — doit lui valoir, en bonne justice, mieux qu’une brève mention en passant.

« L’on a dit ici, écrivait le 13 août Louvois à Luxembourg[1], que le sieur de Montbas s’était sauvé, et qu’il avait été plusieurs jours à Utrecht, bien accueilli de tout le monde ; à quoi le Roi a trouvé un peu à redire ; et Sa Majesté m’a ordonné de vous mander qu’en cas que cela soit, vous l’en fassiez promptement sortir, et de toute l’étendue de votre commandement. » À cette réprimande du ministre, le duc réplique en se défendant de son mieux : « Il est vrai que M. de Montbas vint ici, où il n’a couché qu’une nuit. Il me fit demander escorte par son neveu, me faisant dire qu’il allait donner des avis importans ; et d’ailleurs je voyais que c’était un Français condamné pour avoir eu, à ce qu’on disait, intelligence avec nous… Tout cela fit que je ne jugeai pas devoir le faire arrêter, de peur que d’autres Français n’osassent revenir[2]. » Avec ces lignes se croisait une seconde lettre de Louvois : « Je vous ai mandé que le Roi n’avait pas trouvé bon que vous eussiez souffert M. de Montbas à Utrecht. Présentement j’ai eu ordre de Sa Majesté de lui faire écrire qu’Elle lui pardonnera, pourvu qu’il se rende près de vous, et qu’il vous assiste de toutes les lumières qu’il peut avoir, tant pour incommoder les ennemis dans leurs postes que pour semer de la division parmi eux. Vous vivrez donc sur ce pied-là avec lui, sans avoir égard à ce que je vous ai écrit par le dernier ordinaire. »

L’objet de ce débat se nommait Jean Barthon, vicomte de Montbas, bon gentilhomme de la Haute-Marche, dont le père, — ou un parent proche, — s’était jadis distingué à Rocroi. Un duel retentissant, où succomba son adversaire, l’avait dès sa jeunesse obligé de sortir de France. Il se réfugia à La Haye, prit du service dans l’armée hollandaise, épousa peu après la fille du célèbre Grotius, et, grâce à cette alliance non moins qu’à sa bravoure, s’éleva en peu de temps au grade de « commissaire général des armées, » la troisième dignité militaire de la République. C’est en cette qualité qu’il fut, dans le début de la campagne, chargé de la défense du Rhin. Sa conduite en cette occurrence

  1. Lettre du 13 août 1612. — Archives de la Guerre, t. 273.
  2. Lettre du 19 août.