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reconnaît l’imprudence de cette mesure funeste : « Je dus me reprocher, dit-il[1], l’indulgence que j’avais eue pour près de vingt mille prisonniers de guerre en les renvoyant en Hollande, lesquels ont formé les principales forces que cette république a depuis employées contre moi. » Ce contingent inespéré constitue, en effet, pour le jeune stathouder, le noyau essentiel de sa nouvelle armée, celle qu’il prépare contre la garnison d’Utrecht. Toutes les chances favorables semblent se rassembler pour lui. La rigueur précoce de l’automne aide puissamment l’organisation de ses forces, en empêchant son adversaire de le troubler dans sa besogne. De mémoire d’homme, on n’avait souvenir en Hollande d’une saison aussi détestable que le mois de septembre de l’année 1672. « La pluie, dit Luxembourg, duré sans discontinuer. Ce n’est pas qu’il fît beau auparavant ; mais nous avions une heure de pluie, et il était une heure sans pleuvoir. A présent elle tombe comme si on la versait à seaux, et je vous assure qu’il faudrait être de fer pour y résister ! » La plupart des digues sont rompues ; toutes les routes sont impraticables ; l’on ne saurait songer, écrit encore le duc, « à moins de devenir canard, à s’aventurer hors des places, » où les troupes et leur général s’impatientent également de cette réclusion prolongée.

Le grand effort de Luxembourg, au cours de cette période, — effort d’ailleurs sans résultat, — tend à obtenir de Louvois une augmentation d’effectif, surtout en infanterie, pour pouvoir essayer, à la première occasion, « quelque action de vigueur qui détruirait l’espérance des ennemis ; » car, ajoute-t-il, « un petit succès favorable est capable de bouleverser toute la Hollande. » Tout compte fait, il n’a guère qu’une vingtaine de mille hommes, dont les deux tiers sont employés à tenir garnison dans les différentes places. Du moins, cette faible année, Luxembourg le proclame hautement, est-elle brave, bien pourvue de tout, « ne respirant que le combat ; » et, si « c’est peu pour entreprendre, » en revanche il ne craint guère que l’on se risque à l’attaquer : « On m’assure que le prince d’Orange veut faire quelque chose contre moi. Je ne vois pas qu’il pense à quoi que ce soit qui lui soit bien facile ; car, pour Utrecht, j’en réponds, et je voudrais qu’il y marchât. »

Pour commander ces troupes, il a sous lui quelques officiers

  1. Mémoire de Louis XIV sur la campagne de 1672, passim.