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d’accord avec la France, il ne saurait être question de rompre sans raison avec Sa Majesté britannique et de faire « une paix séparée ; » c’est une chose à quoi, sans nul doute, « le Roi ne consentira jamais, quand même il prévoirait qu’il lui en dût coûter toutes ses conquêtes[1]. » Mais, après cette profession de foi, Louvois se hâte d’ajouter que, « par la suite, Sa Majesté sera bien aise que la Hollande ne gardât aucune dépendance de l’Angleterre ; » que, dans la discussion des conditions de paix, la France prendra en main l’intérêt de M. de Witt, au détriment du prince d’Orange, quelle que soit sur ce point « la sollicitation des ambassadeurs anglais, » et que « l’on entendra volontiers les propositions » du Grand-Pensionnaire pour conclure un traité avantageux aux deux nations.

Pour preuve de sa bonne volonté, Luxembourg se propose de faire partir pour La Haye, en sourdine, un émissaire, auquel, dit-il, « j’offrirai tout ce qui dépendra de l’autorité que le Roi m’a donnée ici pour servir M. de Witt. » Le peuple de Hollande étant « fort susceptible des impressions qu’on lui donne, » ce messager, adroit et bien muni d’argent, emploiera son talent à « faire courre de petits avis, durant que les esprits sont échauffés, » et « cela ne pourra manquer de faire un bon effet. » Enfin, un autre agent secret, « cousin du sieur de Witt, » est expédié vers le Grand-Pensionnaire. Si la réponse qu’il en rapporte « paraît aller à quelque chose, je trouverai bien moyen, mande encore Luxembourg, de l’envoyer jusqu’à Paris, sous le prétexte des États de cette province (d’Utrecht). » Tous ces pourparlers, au surplus, ne se feront que de vive voix, par mesure de prudence : « Je n’ai point voulu permettre que l’on écrivit rien sur ce sujet, et vous pouvez vous assurer que cette négociation ne sera point éventée[2]. »

L’envoyé, cependant, tarde beaucoup à revenir : une semaine s’écoule dans l’attente. Luxembourg s’en inquiète, et commence à concevoir des doutes sur l’heureuse issue de l’affaire : « L’homme qui était allé trouver M. de Witt n’est pas encore de retour. J’ai peur que son ami d’ici se flatte quand il croit qu’il pourrait faire quelque chose ; car, pour moi, je ne le tiens plus en cet état-là. » Louvois, mieux renseigné, est plus sceptique encore : « Nous

  1. Louvois à Luxembourg, 24 juillet.
  2. Luxembourg à Louvois, 5 août 1672.