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de second plan, dont la récente autorité est discutée, battue en brèche. Il a, pendant ses vingt premières années, vécu loin des affaires publiques ; puis, subitement, trois mois avant le début de la guerre, en février 1672, les États Généraux assemblés à La Haye se sont par hasard avisés du pâle adolescent dont les ancêtres ont fondé l’indépendance de leur patrie. Un mouvement subit se déclare, dont les efforts de Jean de Witt ne peuvent rompre le cours ; le jeune prince est nommé « capitaine général des armées de terre et de mer, » et prend sur l’heure possession de l’emploi. Les qualités de commandement, l’activité, l’ardeur dont il fait preuve lui valent, quelques semaines plus tard, une élévation supérieure. Une résolution des États abolit l’Edit perpétuel, rétablit le stathoudérat[1] ; et c’est alors que s’engage le conflit, chaque jour plus vif et plus aigu, entre les deux premiers dignitaires de l’État, le Stathouder et le Grand-Pensionnaire, Guillaume d’Orange et Jean de Witt. Dans cette lutte d’influence entre deux factions opposées, l’intérêt de la France ne peut être douteux. Luxembourg, pour sa part, n’hésite pas un moment ; et toute sa politique consiste à soutenir discrètement le bourgeois sage et pacifique contre le prince jeune et aventureux qui veut jusqu’au bout tenir tête aux trahisons de la Fortune.

C’est d’ailleurs le Grand-Pensionnaire qui fait, — ou qui fait faire, — les premières ouvertures. Une lettre de. Luxembourg adressée à Colbert et confiée au comte d’Artagnan, — celui-là même dont un roman célèbre a popularisé le nom, — conte en détail la visite mystérieuse qu’il vient de recevoir[2] : Un « ami intime de M. de Witt » est venu le voir à Utrecht, lui a confié, sous le sceau du secret, les désirs du vieil homme d’État : « Il m’a dit que ses sentimens étaient que la Hollande fît sa paix, en demeurant dans une alliance fort étroite avec la France, et même dans un engagement de n’en pouvoir jamais abandonner les intérêts, sans en avoir aucun qui pût être conjoint avec ceux d’Angleterre : que, si Sa Majesté voulait appuyer la faction de M. de Witt en cela, elle pourrait reprendre le dessus et acheminer les affaires à ce que je viens de vous dire. » A cette invite inattendue le duc répond d’abord en gardant une prudente réserve : « J’ai répondu à cela comme un homme qui ne peut

  1. La résolution qui abolit l’Édit perpétuel est du 2 juillet 1672. La proclamation de Guillaume comme stathouder eut lieu le 8 juillet.
  2. Luxembourg à Colbert, juillet 1672. Mss, Bibl. nat. Mélanges Colbert, no 160.