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seules elles lui donnent quelque jouissance ; seules il les juge dignes d’effort.

La guerre surtout ! Voilà l’unique passion qui fasse vibrer cette âme rigide et bouillonner ce cœur glacé. Il l’aime comme on aime une maîtresse, avec d’autant plus de ferveur qu’il n’est guère payé de retour. Des dons et des talens qui font les grands souverains, celui de capitaine est peut-être le seul que lui ait refusé la nature, et c’est celui de tous qu’il met à plus haut prix. Il souffre cruellement de cette lacune de son génie, mais les déceptions qu’il éprouve ne sauraient le décourager. Ses fautes de stratégie, ses erreurs de tactique, cette malchance obstinée qui fait dire à ses détracteurs que « M. le prince d’Orange peut au moins se vanter qu’aucun général à son âge n’ait levé tant de sièges et perdu autant de batailles, » il mot tout sur le compte d’un apprentissage incomplet. Général en chef à vingt ans, il n’a pas pu, dit-il, étudier à fond son métier et recevoir d’un maître les premiers principes de son art : « Je donnerais, s’écrie-t-il un jour, une bonne partie de mes États pour avoir servi quelques campagnes sous M. le prince de Condé ! » Il ne désespère point toutefois qu’une longue pratique supplée aux grandes leçons qui lui ont fait défaut, et garde ce patient espoir jusqu’au dernier jour de sa vie. D’ailleurs, il faut le reconnaître, ce qui lui manque comme science technique, il le regagne, — et au-delà, — par la ténacité et par le caractère. L’énergie de sa volonté tient du prodige et confine au génie. Il n’est jamais plus grand qu’au lendemain d’un désastre. Pas un instant, il ne faiblit ; pas une fois, il ne s’abandonne ; en aucun cas surtout, il ne se reconnaît vaincu. Son sang-froid, sa lucidité redoublent dans l’épreuve. Sans perdre une heure, il se remet à l’œuvre ; et son adversaire triomphant « n’a pas encore chanté le Te Deum[1], » qu’il le trouve devant lui debout, réparé, tout prêt à combattre. Ses campagnes et ses batailles sont d’un médiocre tacticien, mais elles sont aussi d’un grand homme.

Tel est l’adversaire redoutable que les modérés de Hollande voient surgir devant eux, aussitôt les premières défaites, et qui s’oppose résolument à toute ouverture pacifique. Qu’il entre en cette intransigeance quelque hostilité personnelle à l’égard du Grand-Pensionnaire, on ne saurait le contester. Cependant la

  1. Macaulay, Histoire d’Angleterre, t. II.