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de jouir de l’amitié et protection du Roi, et de continuer leur commerce, qui suffit, comme ils en sont persuadés, pour les rendre riches et heureux. » Ces sentimens sont, à n’en pas douter, ceux de la grande majorité des États Généraux, de ceux-là mêmes qui, quelques mois plus tôt, écrivaient à l’empereur d’Allemagne : « Nous ne pouvons nous dispenser d’engager solennellement notre foi et notre parole que nous n’avons jamais seulement songé à troubler le repos de l’Europe, et de représenter que, la navigation et le commerce faisant tout le bonheur et la prospérité de cet État, nous ne pouvons comprendre comment on nous peut seulement soupçonner de vouloir faire la guerre[1]. »

Mais ces hommes doux et pacifiques ont à compter avec « la populace, » laquelle, au dire de Luxembourg, est « fort méchante et en très grand nombre dans ce pays, » et qui n’a point les mêmes raisons pour vouloir « la paix à toute force. » Le parti militaire, assez peu nombreux, il est vrai, mais actif, énergique, accorde à présent son concours à « la faction démocratique. » Enfin, dans le même camp se rangent, pour la plupart, les « ministres et prédicans, » dont l’intransigeant fanatisme n’admet point de compromission avec les ennemis de leur foi, et qui, « jouissant d’un grand crédit parmi le bas peuple des villes, » le rend « fort mal intentionné » à l’égard des Français.

Chacun des deux partis a son chef attitré ; chacun de ces chefs est un haut personnage, un grand dignitaire de l’Etat ; et leur rivalité mutuelle, sourde d’abord et souterraine, éclatera bientôt au grand jour, dégénérera en lutte sanglante, et provoquera, en fin de compte, une révolution violente dans les destinées du pays.

Par la retraite de Pierre de Groot, la direction des modérés était exclusivement passée aux mains de Jean de Witt, Grand-Pensionnaire depuis l’an 1652, adversaire passionné de l’influence anglaise, et par suite ennemi né de la maison d’Orange et de Nassau, qui pendant tant d’années avait gouverné la Hollande. C’est par sa secrète influence qu’en 1667 avait été voté, dans l’assemblée générale des États, le célèbre Édit perpétuel, qui abolissait à jamais le système du stathoudérat, frappant d’un coup direct les espoirs ambitieux du jeune Guillaume d’Orange. Malgré l’ardente hostilité que, par cette attitude, il souleva contre

  1. Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, t. 92.