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Mais, autant qu’on peut en juger, l’œuvre est durable, parce qu’elle est conçue dans le sens de la civilisation et conforme au génie de la France.

S’il est vrai que la colonisation doive s’étendre du domaine matériel au domaine moral, et de la terre aux hommes ; s’il est vrai qu’on ne se contentera plus d’exploiter les richesses du globe, d’asservir les pays habités ou de peupler les pays vacans ; s’il est vrai qu’on s’efforcera de pénétrer le génie des peuples, de respecter leurs coutumes, et de les gouverner par la persuasion autant que par la force ; s’il est vrai enfin que la colonie de l’avenir consistera dans la juxtaposition des races et leur association par le travail plutôt que dans la constitution de groupes exclusifs et homogènes qui se détachent rapidement de la métropole, quelles colonies se prêtent mieux que les françaises à cette noble tentative ? Lesquelles offrent une plus grande diversité de tempéramens, de mœurs, de couleurs et de religions, et, par suite, un plus vaste champ d’expérience ? Et, pour ne citer que l’Afrique du Nord, lesquelles présentent au même degré ce caractère mixte d’une œuvre à la fois matérielle et morale, et d’une double conquête sur la nature et sur les hommes ?

Et, d’autre part, si, pour civiliser le monde, l’Europe doit dépouiller son stérile orgueil ; s’il lui faut se mettre à la portée des humbles pour les élever jusqu’à elle, quelle race mieux que la française est capable de se plier aux transactions nécessaires ? Laquelle est plus facile à émouvoir, plus apte à séduire, plus vibrante de sympathie humaine, plus capable de curiosité désintéressée ? Mais surtout, puisque tout le problème de la civilisation se ramène à un problème de conscience, et qu’il s’agit d’éveiller dans les âmes le sentiment de la dignité humaine, quelle nation est mieux préparée à cette haute et difficile mission que celle qui s’est fait un point d’honneur de personnifier, même à ses dépens, la conscience du genre humain ? L’erreur généreuse qu’elle a commise autrefois, lorsque d’un coup de baguette elle croyait transformer l’humanité, n’est-elle pas tout au moins la garantie de son bon vouloir ? Etait-ce autre chose qu’une synthèse prématurée ? et ne fait-elle pas pressentir ce que nous serons capables d’accomplir, le jour où la connaissance pratique des hommes viendra guider les inspirations de notre cœur et tempérer les exigences de notre raison ?

En résumé, la dernière évolution coloniale est