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génies opposés de trois continens. La domination romaine la fixe un instant dans ce cadre harmonieux, et donne, pour un temps très court, l’illusion d’une éternelle durée.

Ce qui caractérise cette première période d’expansion, c’est le mélange de toutes les races et de toutes les religions. Le Romain pétrit ce mélange à sa guise. Il sacrifie, sans hésiter, aux dieux étrangers ; il leur ouvre ses temples, et derrière les dieux les peuples vaincus entrent dans la cité. La civilisation romaine gagne ainsi non seulement des territoires, mais des âmes ; elle est moins étendue en surface que la nôtre, mais elle agit davantage en profondeur. C’est pourquoi on ne se lasse pas de lui demander des exemples et des leçons.

Toutefois ce monde romain est immobile. La Méditerranée exerce sur lui une attraction qui l’empêche de se développer. Il se suffit à lui-même, il ne cherche rien au-delà. Quelques marchands atteignent l’Inde ou la Chine, mais ils ne forment point d’établissemens. La plus grande partie du commerce lointain se fait par intermédiaire. La navigation est timide et ne s’éloigne pas des côtes. L’homme de la Méditerranée redoute les grands espaces, que ce soient les vastes plaines du nord de l’Europe, les plateaux de l’Asie centrale, ou les solitudes marines, où il erre sans boussole, sur la foi intermittente des astres.

De plus, un certain matérialisme limite ses destinées : l’esprit romain n’est pas, comme jadis la pensée grecque, affranchi du temps et de l’espace. Les bornes de l’empire lui paraissent celles mêmes de la civilisation. Donc la civilisation sera stationnante, parce que l’Etat ne peut croître indéfiniment. Elle tourne en cercle autour de son berceau. N’est-ce pas la cause de la tristesse qui envahit les plus grands cœurs ? L’empereur Marc-Aurèle a, malgré lui, la nausée de ce monde fermé qu’il gouverne : « La vie, dit-il, ressemble aux spectacles de l’amphithéâtre dont on se dégoûte à force de voir toujours les mêmes choses… Celui qui a vu le temps où il vit atout vu, car tout se ressemble… Ainsi donc jusques à quand ? »

Le christianisme se chargea de répondre. Il vint renouveler la face de l’Europe, et lui ouvrir de nouvelles destinées, mais au prix de quelles ruines !

Tout d’abord, le déclin rapide de l’empire qu’il semblait devoir consolider. Le christianisme, né en Asie, et pénétré pendant quatre siècles de philosophie grecque, était fait pour rallier