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du ministère actuel, devait inévitablement remuer jusqu'au fond des âmes les fermens de haine et de discorde dont nous avons parlé. Des débats de ce genre laissent toujours des traces. Le parti radical n'a d'ailleurs pas tardé à sentir qu'on avait soulevé en lui plus de passions que la loi n'en avait satisfait. Beaucoup de ses espérances se trouvaient déçues. Le gouvernement s'était imaginé peut-être qu'on s'en tiendrait là; ses amis exigeaient davantage. Eh quoi ! pas un seul des établissemens scolaires libres n'était fermé! Était-ce tolérable ? A quoi bon la loi contre les congrégations si elle ne produisait pas plus d'effet? Les groupes radicaux sont devenus de plus en plus nerveux et impatiens à la Chambre, et, au Sénat, M. Béraud a déposé sa proposition, qui a mis le feu aux poudres. Si le temps matériel n'avait pas manqué avant les élections, il est probable que les lois les plus draconiennes auraient été votées, et qu'il ne serait plus rien resté de la liberté de l'enseignement. Mais le temps a fait défaut. La Chambre n'a pu voter que des motions vaines, et la question est aujourd'hui posée, à peu près intacte, devant le pays. MM. Ribot et Poincaré devaient donc, dans leurs discours, donner la place principale à la liberté de l'enseignement, et ils n'y ont pas manqué. On les a accusés de faire des concessions à la droite : quelle puérilité! Ce n'est pas faire une concession que de rester fidèle aux croyances de toute sa vie. Il y a quatre ans, on pouvait être très bon républicain, et on était considéré comme tel, tout en étant partisan de la liberté de l'enseignement : pourquoi n'en serait-il plus de même aujourd'hui? Suffit-il qu'une bande de sectaires se soit abattue sur le gouvernement pour rendre blanc ce qui était noir, et noir ce qui était blanc ? Un homme d'esprit a dit autrefois qu'il fallait changer souvent d'opinion pour être toujours de son parti mais ce n'est là qu'une boutade, et il y a des gens qui prétendent ne changer ni d'opinion, ni de parti. Les excommunications glissent sur eux et les laissent indifférens. Si les républicains progressistes avaient hésité une minute dans la défense de la liberté, ils se seraient suicidés. Sous prétexte de ne pas faire de concessions à la droite, ils auraient fait à la gauche radicale des avances qui auraient été leur propre abdication. Ils sont restés sur leur terrain : d'autres viendront les y joindre, car il est ouvert à tout le monde.

On a vu par la campagne poursuivie contre l'enseignement libre le progrès que leur alliance avec les socialistes a fait faire aux radicaux: les socialistes n'en ont pas moins profité. Leur entrée au ministère, dans la personne de M. Millerand, a été pour eux un coup de partie