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homme qui a renoncé à une certaine conception de son art ne risque guère de produire encore des oeuvres où se retrouve l'idéal qu'il a délaissé. Non pas que je prétende, certes, que Mantegna ait jamais eu pleinement conscience des différentes conceptions artistiques qui se reflètent dans ses couvres : son idéal se modifiait en lui sans qu'il y songeât, mais d'autant plus profondément chacune de ces modifications inconscientes agissait sur lui. Et c'est assez de jeter un coup d'oeil sur les photographies de ces petites Vierges pour y reconnaître le mélange de grâce poétique et d'émotion familière qui, traité avec un art plus réfléchi et plus de travail, fait le charme incomparable de la Vierge du Louvre et de celle de Dresde. Les petits tableaux en question sont, à n'en point douter, des études faites par le vieux maître d'après des modèles vivans, en vue d'oeuvres où il voulait nous montrer son génie sous une lumière nouvelle. C'est en eux, je crois, que nous pourrions découvrir la transition entre la manière réaliste des fresques de Mantoue et la manière poétique des derniers tableaux. Ajouterai-je que, là encore, on a l'impression d'un homme qui peint des modèles qu'il a constamment sous les yeux, des modèles dont la vie intime le touche de près, comme celle de la femme et de l'enfant aimés?


J'ai pris un peu au hasard l'exemple de ces petits tableaux. Il y en a plusieurs autres dont on pourrait, je crois, déterminer la date plus sûrement encore, si l'on se mettait d'abord en peine d'étudier avec quelque détail l'évolution générale de l'art de Mantegna. Mais surtout une telle étude aurait l'avantage de nous faire mieux connaître la personnalité artistique du peintre padouan, son rôle, le secret des influences diverses, et souvent même contraires, qu'il a exercées de son, vivant comme après sa mort. Et elle nous aiderait aussi à saisir la signification véritable de cette Renaissance italienne, qui a trouvé en Mantegna le plus parfait représentant de ses rêves et de son effort.


T. DE WYZEWA.