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de son art. C’est en ce sens qu’il n’a point cessé d’évoluer et de progresser : et c’est de ce progrès-là que je crains que M. Kristeller n’ait pas suffisamment défini la nature.


La question est en effet la plus intéressante de toutes celles que soulève l’étude de la vie et de l'œuvre de Mantegna. Sa solution, d’abord, offre à l’historien de l’art une certaine utilité pratique : car il y a toute une série d’œuvres de Mantegna, et non des moins curieuses, dont on n’est point parvenu à fixer, jusqu’ici, l’époque de la vie du maître où elles se rattachent. Les uns y voient des œuvres de sa jeunesse, d’autres les attribuent à ses dernières années. Tout cela parce qu’on ne s’est pas encore avisé d’établir exactement la « courbe » de son évolution artistique, et de déterminer ainsi les diverses façons dont il a tour à tour compris l’objet de son art. Et cette « courbe,» d’autre part, serait d’autant plus précieuse à connaître, dans le cas de Mantegna, que le maître padouan a, en quelque sorte, vécu isolé au milieu du grand mouvement artistique de la Renaissance italienne. À Florence, à Sienne, à Milan, à Venise, les artistes influaient les uns sur les autres chacun d’eux apportait un élément nouveau dont ses confrères ne pouvaient s’empêcher de tirer parti. Mantegna, à supposer même qu’il ait subi dans sa jeunesse l’influence de Donatello, depuis lors a vécu seul, ou entouré d’hommes si inférieurs à lui que leur talent ne pouvait exercer d’action sur son génie. Il s’est, en quelque sorte, développé spontanément, sur son propre fonds ; et, chose infiniment curieuse, son évolution artistique s’est trouvée résumer en elle toute l’évolution de l’art italien de la Renaissance, depuis Nicola Pisano et Giotto jusqu’à Raphaël et à Michel-Ange. Le spectacle que nous présentent, en Toscane, quatre ou cinq générations de peintres et de sculpteurs, c’est le même spectacle que nous fait voir, dans sa durée d’un demi-siècle, l’œuvre de Mantegna : tant il est vrai que cet homme merveilleux avait en lui, plus que personne, l'âme vivante et profonde de la Renaissance.

L’étude de l’évolution de Mantegna est, en outre, de celles qu’on peut fonder aisément sur des données certaines. Trois œuvres - ou séries d’œuvres - capitales lui servent de points de repère : les fresques de Padoue (1448-1455), auxquelles on peut joindre, si l’on veut, la Crucifixion du Louvre, peinte entre 1457 et 1459 ; les fresques du château de Mantoue, achevées en 1474 ; enfin la Vierge de la Victoire et les deux allégories du Louvre, datant de 1496 à 1497. Entre chacune de ces séries d’œuvres et la précédente, il y a un intervalle