Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

padouans vers le milieu du XVe siècle. Ce sont des oeuvres de ce soi-disant « réalisme » qui exagère tous les détails naturels pour en accroître l'effet, forçant la saillie des os, les contorsions des muscles, les grimaces joyeuses ou désolées des figures. Les personnages, presque toujours laids et souvent difformes, ont avec cela un air de statues, mais taillées dans le bois plutôt que dans le marbre. Et, si nous voulons nous rendre compte, au Louvre, du style de cette école que rien au monde ne nous empêche d'appeler « squarcionesque, » nous n'avons qu'à regarder le groupe qui se tient debout, au pied de la croix du mauvais larron, dans la Crucifixion d'Andrea Mantegna. L'oeuvre du maître a beau dater de 1459, où Mantegna s'était déjà bien dégagé des leçons de Squarcione ; elle a beau être un chef-d'oeuvre de facture et d'expression: ce groupe de gauche nous montre que l'élève, à près de trente ans, restait encore imprégné de l'enseignement de son maître. Et l'on peut même dire que cet enseignement a pesé sur lui jusqu'à la fin de sa vie, l'empêchant de réaliser jamais tout à fait le prodigieux idéal de beauté qu'il avait dans l'âme. L'influence des Bellini n'est venue qu'ensuite, trop tard pour annuler entièrement celle de Squarcione. Et quant à l'influence de Lippi et de Donatello, tout ce que peuvent en dire M. Kristeller ou M. Bode restera toujours une simple hypothèse, absolument incapable de détruire pour nous l'exactitude évidente du récit de Vasari.


Encore le goût du paradoxe n'est-il pas, à mon avis, le principal défaut de la critique d'art telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée en Allemagne. Le principal défaut de cette critique est de manquer de méthode, de se perdre sans cesse dans des digressions inutiles, et d'oublier que, en matière de critique aussi bien que d'histoire, les détails les plus ingénieux ne valent pas un plan d'ensemble clairement établi. Ainsi M. Kristeller, dans sa consciencieuse étude de la vie et de l'œuvre de Mantegna, ne se 'soucie jamais d'évoquer devant nous une figure vivante. Après avoir essayé de réfuter l'affirmation de Vasari sur Squarcione, il nous décrit les fresques de Mantegna dans l'église des Frères Ermites. Il nous en indique les sujets; il nous en signale minutieusement les qualités et les défauts. Puis, dans les chapitres suivans, il nous présente tour à tour de la même façon les premiers tableaux de Mantegna, le triptyque de Vérone, le petit triptyque du musée des Offices, les fresques du Château de Mantoue, le Triomphe de César, la Vierge de la Victoire, les deux peintures allégoriques du Louvre, enfin les dessins et les gravures du maître. Au début