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officier de cavalerie et tantôt pour un commis voyageur. Il s’imagine être persécuté par la police, signe ses billets les plus insignifians des pseudonymes les plus baroques ; un soir, dans un salon, il se fait annoncer sous le nom de Cotonnet. Tandis que l’homme tout à fait sain d’esprit va droit devant lui, exprime ses idées parce qu’il les croit justes, et tient compte de l’opinion d’autrui dans la mesure où elle est pour lui un utile contrôle, le vaniteux par timidité est, vis-à-vis de l’opinion, dans une dépendance continuelle, étroite et douloureuse. Il regarde sans cesse vers elle avec inquiétude, craint toujours qu’elle n’empiète sur ses droits et ne porte atteinte à sa liberté ; et, pour être plus sûr de ne pas être absorbé par elle, il s’y oppose. Il prend le contre-pied de l’avis commun, s’installe dans l’attitude contrariante et contredisante. Par crainte de se faire moquer de lui, il s’empresse de se moquer des autres : il mystifie, par crainte d’être dupe. Il défend ses idées non comme justes, mais comme siennes, et s’y entête. Pour les mieux affirmer, il les exagère ; et, pour n’en rien laisser tomber, il les force et les outre jusqu’au paradoxe. Il est irritant, désobligeant ; cassant. Enfin, pour échapper tout à fait au soupçon de condescendance, il devient brutal. Méfiance soupçonneuse, humeur contrariante, ironie, manie du paradoxe, affectation de cynisme et de brutalité, ce sont chez Beyle autant de conséquences de sa vanité foncière.

Beyle a le tempérament sensuel. On le devine à voir, d’après ses portraits, son enveloppe épaisse et triviale. Ceux qui l’ont connu ne se souviennent d’aucun temps où il n’ait été engagé dans quelque intrigue amoureuse : cela depuis l’extrême jeunesse jusqu’à la fin de sa vie, où il a figure de vieux beau. Ses conquêtes sont parfois des femmes du monde, du monde de l’Empire ou du monde cosmopolite ; ce sont d’autres fois des filles d’auberge. Où l’entraîne son plaisir, il suit. Nous le trouvons à Marseille employé de commerce, parce qu’une petite actrice dont il est l’amant, et qui, bien entendu, le trompe, y a un engagement. Il reste en Italie pendant les Cent-Jours, parce qu’il y est retenu par des raisons de même nature. Son enthousiasme pour l’Italie vient de ce que dans nul autre pays il n’a trouvé autant de facilité pour faire l’amour. On nous dit que sa conversation trahissait le goût de l’obscénité. Et George Sand, qui n’était pas prude, l’ayant rencontré, lors de son voyage en. Italie avec Musset, fut révoltée de la crudité de son langage.

Enfin cet observateur narquois, ce moraliste curieux, ce subtil psychologue est un homme d’action. D’avoir suivi les armées de Napoléon,