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salon dans la France de l’ancien régime, sur la parenté de Napoléon avec les condottières italiens. Beyle tenait à l’école romantique par son individualisme ; d’autre part, son horreur de l’emphase, sa curiosité du « petit fait, » le firent considérer comme un précurseur par l’école réaliste. Une fois de plus, dans les dernières vingt années du siècle, les idées et les sentimens, l’esthétique et la morale viennent à changer : on se dégoûte du naturalisme pour sa grossièreté et du positivisme pour l’étroitesse avec laquelle certains de ses représentans l’ont formulé. « Je serai lu vers 1880 » avait prononcé Beyle. Ce n’était qu’une fanfaronnade. Ce n’était que le dernier recours de l’amour-propre exaspéré chez l’auteur méconnu qui en appelle à la postérité. Il se trouva que ce souhait fut réalisé. L’école de 1880 goûta le psychologue qui se donnait pour être, par profession, observateur du cœur humain, » le cosmopolite devant lequel il n’y avait pas à se gêner pour médire de la France, car, disait-il, vengo adesso di Cosmopoli, le dilettante qui réduisait la science de la vie à un art de la jouissance égoïste et raffinée. Ce fut le temps de la grande vogue de Stendhal, moment unique dans l’histoire de sa réputation, point culminant de sa célébrité. Enfin le beylisme avait passé religion ! Il avait ses initiés, ses dévots, ses confesseurs de la foi ! Grâce aux Stendhaliens, il devint difficile de parler de Stendhal sans un peu d’irritation. L’engouement avait été vif : il a été de courte durée.

Le moment est venu, non plus seulement pour l’essayiste à la manière de Taine ou de M. Bourget, mais pour l’historien. Le biographe de Stendhal a en sa possession tous les documens, depuis qu’avec un zèle infatigable M. Casimir Striyenski a déchiffré les brouillons, ébauches et autres « inédits » de l’écrivain grenoblois. Il est placé à bonne distance pour juger l’homme et son œuvre. M, Arthur Chuquet a voulu être cet historien de Stendhal : il lui consacre un volume de l’information la plus minutieuse et la plus précise : Stendhal-Beyle[1]. L’exactitude et la sûreté, qui sont les qualités habituelles des travaux de M. Chuquet, étaient ici d’un prix tout particulier, Beyle s’étant ingénié à dépister le lecteur, ayant travaillé à se composer une légende, et menti avec application. M. Chuquet le juge sans prévention. L’homme lui paraît avoir été un vilain personnage, et le moraliste avoir gâté par un mélange d’idées fausses ses aperçus les plus originaux ; mais il rend justice à l’un et à l’autre. La conclusion du livre est tout à fait équitable, et on peut s’y associer. « Beyle, écrit M. Chuquet, fut un

  1. Stendhal-Beyle, par A. Chuquet, vol. in-8o (Plon). — L’École romantique en France, par George Brandès, traduit par A. Topin. 1 vol. in-8o (Michalon).