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Mais lorsqu’on feuillette le théâtre de Molière, les allusions instructives concernant notre sujet se multiplient. Il existe un récit contemporain, moitié prose, moitié vers, de la farce des Précieuses. D’après ce récit, interrogée par le vieux Gorgibus qui cherche Cathos et Madelon, la soubrette Marotte déclare ses maîtresses occupées dans leur chambre à fabriquer, non seulement de la pommade pour les lèvres, conformément au texte classique[1], mais aussi des mouches, du fard, des parfums de civette et d’ambre. Le commentateur ajoute que ces sortes d’occupations n’étaient pas trop en usage du temps de la jeunesse du bonhomme et que la réponse de la servante le surprit extrêmement. Cela doit être exact, mais notre écrivain passe la mesure lorsqu’il rappelle qu’à cette époque, déjà éloignée de lui, le fard se réduisait à de la claire eau de fontaine. Tout au plus dans les familles bourgeoises les plus austères et encore !

Le tolérant Ariste, de l’École des Maris, permet les mouches à sa pupille et future, mais Arnolphe, de l’École des Femmes, oblige Agnès à méditer des maximes, — déjà antiques il est vrai, — proscrivant le blanc. À l’époque où Molière retraçait les mœurs de la Cour, le blanc dut être à la mode chez les femmes sur le retour désirant « déguiser la faiblesse de leurs attraits usés. » La vieille Émilie en arbore, au grand scandale d’Alceste. Célimène, incarnée par Mlle Molière, jette crûment le même reproche à la face d’Arsinoé, figurée par Mlle Duparc. Ce n’était pas la première fois que la même comédienne raillait en scène sa camarade sur sa fraîcheur artificielle. Relisons l’Impromptu de Versailles : Mlle Molière, personnifiant une satirique spirituelle, se moque de Mlle Duparc, marquise façonnière. — Mon Dieu ! madame, dit-elle, que je vous trouve le teint d’une blancheur éblouissante et les lèvres d’une couleur de feu surprenante ! — Ce qui montre que l’incarnat des lèvres devait rehausser la blancheur du teint : la pommade pour les lèvres des Précieuses tendait sans doute au même but. Mlle Duparc refuse le compliment, pour la forme, et Mlle Molière, de plus en plus cruelle, ajoute — Oh ! madame, vous n’avez aucun désavantage à paraître au grand jour, je vous jure. Les méchantes gens qui assuraient que vous mettiez quelque chose. Vraiment je les démentirai bien

  1. Il est probable qu’avant l’impression de la pièce, comédiens et comédiennes ajoutaient à leur rôle et improvisaient. Cela se fait du reste encore.