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L’oxyde de plomb ou minium, connu de toute antiquité, est trop grossier : on l’abandonne aux clowns et aux artistes dramatiques de bas étage. Le cinabre ou sulfure de mercure coûte assez cher ; il donne d’excellens résultats au point de vue de la coloration et de détestables au point de vue de la santé du sujet, car il détermine l’absorption de mercure dans l’organisme. Si, par bonheur, il ne se diffusait lentement à travers les pores de l’épiderme, il provoquerait d’inévitables accidens qu’il entraîne presque immédiatement lorsqu’on l’applique sur les lèvres.

Au bon vieux temps, les femmes qui se peignaient la figure n’avaient à se préoccuper, pour atteindre le but d’utilité contestable qu’elles poursuivaient, que d’affronter soit l’éclat du jour, soit la lueur des bougies, des quinquets ou du gaz. Aujourd’hui, comme troisième mode d’éclairage, dans les théâtres comme dans les salons de réception, la lumière électrique se généralise, et nous n’apprendrons à personne que ses reflets sont plus blancs, plus crus que ceux émis par les anciens procédés d’illumination. Mais si la physique moderne joue un vilain tour aux dames maquillées, en défiant leurs tentatives, la chimie actuelle vient à leur aide ; elle leur enseigne qu’à défaut du cinabre, vraiment trop dangereux, il existe dans la série aromatique une matière nouvelle, l’ « éosine »[1] (ce nom en rappelle la belle teinte aurore) dont les combinaisons avec la potasse ou la baryte constituent d’excellens fards rouges sous les feux électriques parce que leur insensible reflet jaune, corrigeant la blancheur trop crue des rayons des lampes, imite parfaitement le teint normal.

Reprenons l’histoire des fards. Leur usage, après la ruine de l’empire romain, se concentre chez les Byzantins, et ce n’est pas beaucoup blâmer nos ancêtres du moyen âge que de signaler leur indifférence vis-à-vis des couleurs empruntées. Nous avons, à cet égard, le témoignage d’un célèbre chirurgien languedocien du XIVe siècle, Guy de Chauliac, lequel a composé un ouvrage, « la Grande Chirurgie, » restitué en 1659, par Joubert, professeur royal à la Faculté de Montpellier. On y trouve, à en croire M. Paschkis, des recettes excellentes que les médecins contemporains

  1. De η ω ς aurore. D’après la nomenclature moderne, on doit dire tétrabromofluorescéine. Un autre dérivé aromatique, l’alloxane, a été également proposé comme fard rouge. Par un singulier phénomène, l’alloxane est incolore et ne rougit sur la peau qu’au contact de l’air.