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l’infant don Pedro d’Aragon, qui lui donna état dans le royaume de Valence, où elle mourut.

La lamentable princesse avait donc repris une fois encore sa course vers un nouvel exil. Entre temps Conradin, son neveu, avait également péri de la mort tragique que l’on sait. La princesse auprès de laquelle elle obtint de Charles d’Anjou la permission de se retirer était dora Constance, fille de son frère Manfred et de la première femme de celui-ci, Béatrix de Savoie, veuve elle-même du marquis de Saluces, remariée en juin 1262 à Montpellier, contre la volonté du pape, à l’infant d’Aragon don Pedro, fils de don Jaime le Conquérant, plus tard, en 1276, roi lui-même sous le nom de Pierre III. La malheureuse impératrice, battue de tant d’orages, trouva enfin la paix dans ce dernier séjour. Elle se fit religieuse au couvent de Sainte-Barbe de Valence et vécut encore une très longue vie dans cette existence nouvelle qu’elle ne quitta plus jusqu’à sa mort, arrivée seulement en 1313. Surita dit qu’elle fut enterrée dans l’église des Chevaliers de l’Hôpital de Jérusalem de cette ville. Ce sont ses ossemens que contient l’urne en bois de la chapelle de Sainte-Barbe. Que de fois dans sa sombre et froide cellule d’Espagne, la pauvre femme, repassant en esprit sa destinée mélancolique, dut songer aux rives ensoleillées du grand lac de Nicée, aux voûtes à fond d’or des églises de sa lointaine capitale où si souvent, déjà triste et recueillie, elle avait assisté aux fonctions solennelles sous l’habit étincelant des basilissae byzantines !

Surita raconte encore que Jean Dukas Vatatzès avait laissé en douaire à son épouse occidentale trois villes importantes « en son royaume d’Anatolie, » avec d’autres localités et châteaux en grand nombre, qui valaient, au dire de cette princesse, un revenu de plus de trente mille « hyperpres » ou besans d’or fin. Il est probable que l’impératrice dépossédée ne toucha jamais cette rente lointaine. Par son testament, elle légua tous les droits revendiqués par elle sur ces territoires d’Asie à son hospitalière nièce, la reine Constance. Il semble qu’encore de son vivant son neveu le roi d’Aragon ait songé à revendiquer ces mêmes droits les armes à la main.

On ne sait rien du plus ancien tombeau de l’impératrice Constance dans l’église de l’Hôpital à Valence, celui qui sans doute eût offert le plus d’intérêt et qui fut détruit lors de la reconstruction si malheureuse de la chapelle à la fin du XVIIe siècle,