Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand Hélène reçut, peu de jours après, la confirmation certaine de la mort de Manfred, elle s’évanouit et faillit mourir. Elle décida aussitôt de fuir avec ses enfans et ses trésors à Trani d’où elle s’embarquerait pour l’Épire, et alla dans la nuit du 3 au 4 mars avec toute sa petite famille dans ce port où, huit années auparavant, elle avait débarqué jeune, belle, acclamée. Un navire était prêt pour l’emporter, mais une horrible tempête soufflait qui empêchait le départ. La bande lamentable se réfugia momentanément au château de la ville. Elle y fut, hélas ! presque aussitôt rejointe par les émissaires du pape et de Charles d’Anjou, lancés de toutes parts à travers le pays. Ceux-ci firent lever le pont-levis. Les pauvres fugitifs étaient maintenant à la merci du vainqueur ! Un gros de cavalerie française arrivé deux jours après emmena en un lieu secret les trois fils en bas âge de Manfred. Leur mère infortunée, avec leur sœur Béatrix, resta d’abord à Trani, puis fut amenée à Charles d’Anjou à Lagopesole et envoyée de là au château de Nocera dei Cristiani. Nous l’y laisserons à son terrible sort. Nous ne nous occuperons pas davantage de celui, non moins lamentable, de ses fils.

Constance, qui devait succéder plus tard à ses neveux dans leurs prétentions au trône de Naples, adorait son frère Manfred et aussi son exquise belle-sœur Hélène. Elle fut la fidèle compagne de celle-ci dans toutes les heures d’angoisse à Lucera dei Pagani, mais elle ne la suivit point à Trani. Se réfugier en pays grec eût été pour elle courir à la mort. Elle resta d’abord à Lucera. Puis, quand les guerriers sarrasins de cette cité sauvage, unique au monde, eurent fait leur soumission à Charles d’Anjou, peu après le désastre de Bénévent, l’ex-basilissa compta parmi les trophées de la victoire angevine. L’historien très récent de Manfred, M. del Giudice, a vainement recherché la trace du nom de cette princesse dans les si riches archives de la maison d’Anjou conservées à Naples. La pauvre femme isolée ne représentait aucun péril grave pour la nouvelle dynastie triomphante. La seule mention qui soit faite d’elle à ce moment se trouve dans les Annales d’Aragon, de l’historien espagnol Surita. À l’année 1269, celui-ci raconte que la princesse sans famille se retira en Espagne auprès de sa nièce, on ignore, dans quelles circonstances. Il ajoute que « la Emperadrix doña Costança, » qui, certainement, avait à son retour en Italie repris le nom de son enfance, fut bien reçue par le mari de cette nièce également appelée Constance,