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déjà, frappé en plein cœur par les charmes de la basilissa occidentale. Il voulut qu’elle se donnât à lui. Le Grec Pachymère nous a raconté ce drame fort en détail. Le Paléologue, furieux de la résistance de la pieuse femme, mit tout en œuvre pour la séduire. Craignant qu’elle ne lui échappât en se retirant en Italie auprès de son frère Manfred, il la fit garder à vue, lui prodiguant d’ailleurs tous les honneurs et les plaisirs qui pourraient l’attacher au séjour de Constantinople reconquise. Ce fut en vain. La basilissa Anne, respectée de tous pour la pureté, la dignité de ses mœurs, demeura insensible à tant d’avances, indignée surtout qu’un homme, qu’elle avait compté parmi ses sujets, osât songer à attenter à l’honneur d’une fille, d’une veuve d’empereur. Incapable d’une faiblesse, mais prévoyant bien qu’elle serait impuissante à résister définitivement aux poursuites d’un amoureux aussi haut placé qu’audacieux, elle tenta de se mettre à l’abri de ses violences en offrant de consentir à une union régulière entre eux, pourvu qu’il parvînt à se dégager des liens de son mariage avec sa femme légitime, la basilissa Théodora. Elle savait bien que cela lui serait impossible. Mais la passion ne recule devant aucun obstacle. Michel Paléologue, ne parvenant point à découvrir de prétexte de divorce entre Théodora et lui, ni dans la naissance de celle-ci, ni dans sa conduite, ni même dans sa stérilité, crut avoir trouvé un prétexte dans la raison d’État.

Une ligue puissante s’était formée entre les princes latins violemment irrités par la perte de Constantinople et le roi bulgare, animé par sa femme, ennemie implacable du Paléologue. Ce souverain s’apprêtait à envahir la plaine de Thrace. Tout l’Occident allait fondre sur l’empire grec, qui succomberait infailliblement, si l’on ne parvenait à désunir tant d’ennemis conjurés. Le moyen de détacher de cette ligue le roi Manfred de Sicile et de le mettre dans le parti des Grecs était de placer sa sœur sur le trône de Constantinople. Malheureusement pour le basileus amoureux, ces raisons ne parurent pas suffisantes à la basilissa Théodora, mère de sept enfans, épouse irréprochable. Dans son désespoir, elle implora le patriarche. Celui-ci, outré par la perspective d’un tel scandale, prit vivement en mains la cause de la pauvre princesse. Il menaça le basileus de la vengeance céleste. Michel, qui avait à ménager le prélat, bien que toujours violemment épris, renonça à sa poursuite. Il n’en conserva pas moins longtemps encore sa triste prisonnière sous une étroite