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moraliste qu’un politique Pour en être sûr, on n’a qu’à voir ce qui lui plaît surtout dans l’histoire du passé, les sujets pour lesquels il éprouve le plus d’attrait, ce qu’il traite volontiers et en grand détail ; malheureusement on s’en aperçoit aussi à ce qu’il néglige. De là lui viennent, en effet, avec de grandes beautés, des lacunes regrettables ; en voici une, qui me paraît avoir eu de graves conséquences. À la fin de ce prologue des Histoires, que je viens de citer, Tacite parle des provinces ; et il était difficile qu’en cette occasion, il n’en dit rien, puisque c’est d’une province qu’est parti le mouvement qui renversa Néron. Mais d’ordinaire il s’en occupe très peu. C’est Rome qui l’attire et qui le retient. Il nous dit bien qu’il est révolté de ce qui s’y passe, il se plaint « qu’on n’y voie que des scènes de deuil, des délations, des supplices, des amis qui trahissent leurs amis, des procès qui ont tous le même motif et la même issue ; mais quelque indignation que ces spectacles lui causent, il semble qu’il ne puisse parvenir à s’en arracher, tout l’intérêt de son récit se concentre sur eux C’est à peine s’il se résigne de temps en temps à perdre de vue le Palatin, pour suivre les légions, quand elles vont combattre les ennemis ; l’année finie, quelle que soit la gravité des opérations engagées, il interrompt en général sa narration, il retourne à Rome au premier de l’an, pour installer les consuls qui vont donner leur nom à l’année, et se plonge de nouveau dans ces intrigues de cour dont il déplore la bassesse et la monotonie. S’il avait fait un séjour plus long dans les provinces ; s’il avait consenti à les étudier de plus près et avec plus d’attention, peut-être l’opinion qu’il avait de son époque se serait-elle un peu modifiée. Il aurait vu, que là, c’est-à-dire dans la plus grande partie de l’empire, les mœurs étaient plus simples, la vie moins déréglée qu’à Rome et dans ses environs. La corruption semblait diminuer par degrés à mesure qu’on s’éloignait de la grande ville. L’Italie déjà valait mieux ; la Gaule et l’Espagne, mieux encore ; les proconsuls même les moins recommandables qu’on y envoyait, Pétrone ou Vitellius, devenaient meilleurs dans cette atmosphère plus saine. Et non seulement les provinces étaient plus honnêtes, elles étaient aussi plus heureuses. Les catastrophes qui épouvantaient la société romaine n’y avaient que des contre-coups très affaiblis ; « les bons princes profitaient au monde entier, les mauvais ne pesaient guère que sur leur voisinage. » Ce mot, on l’a déjà vu,