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romaine qui le préoccupaient surtout. Son œuvre n’est donc pas, quoi qu’on ait dit, une histoire politique.

Celle de Tacite l’est davantage. À côté de cette abondance de réflexions subtiles et profondes, de fines analyses psychologiques, qui montrent la connaissance qu’il avait de la nature humaine, on y trouve de grandes vues, où l’homme d’État se révèle, et dont les politiques de tous les temps ont fait leur profit. C’est lui, — on l’a remarqué, — qui est le plus souvent cité, même de nos jours, dans les Parlemens où se discutent les intérêts des peuples. Il connaît parfaitement l’histoire politique de son pays ; il a étudié la compétence des diverses magistratures ; il en raconte l’origine et les vicissitudes, et partout il mêle aux idées générales des renseignemens précis, qui montrent qu’il avait touché aux affaires publiques, et qu’il n’en ignorait pas le détail C’est ce qui se voit, par exemple, dans l’admirable prologue qu’il a mis en tète de ses Histoires. Il commence par y tracer, en deux ou trois chapitres, une esquisse de son sujet. Il va raconter une des révolutions les plus effrayantes que Rome ait traversées. Le dernier des Césars avant disparu brusquement, on s’est aperçu, quand on a voulu le remplacer, qu’il n’y avait pas de constitution fixe et précise ; qu’on vivait sur des fictions et des compromis : « Le secret de l’Empire a été révélé. » On n’a plus trouvé d’autorité nulle part ; les légions se sont mises en révolte, l’esprit provincial a paru se réveiller ; toute cette machine, qui paraissait si solide, a craqué, et l’on s’est rencontré tout d’un coup ; en présence de la grande catastrophe qui, cinq siècles plus tard, emportera tout. On comprend l’émotion qui saisit Tacite à ce souvenir, auquel s’ajoute la terreur des sombres années de Domitien qu’on vient de traverser. Déjà, dans ce début d’une grandeur incomparable, l’homme d’État se révèle ; mais il nous montre encore plus ses qualités ordinaires, de psychologue et d’écrivain ; en voici d’autres auxquelles nous sommes moins accoutumés. Pour nous faire comprendre la gravité de la situation, il nous emmène avec lui par tout l’Empire pendant huit chapitres entiers et nous expose « la situation de Rome, l’esprit des armées, l’état des provinces, celui du monde entier, et quelles parties de ce grand corps étaient saines, quelles parties malades. » Ce tableau composé de touches à la fois larges et précises, qui, à côté des vues d’ensemble ; contient tant de détails exacts, tant de faits, tant de