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possible que Tite-Live n’eût pas tout à fait échappé à ce travers. Le mieux est de raconter les faits aussi exactement qu’on le peut, et de laisser le lecteur tirer de cette image réelle de la vie la leçon qui lui semble en sortir. Mais nous pouvons être certains qu’il en tirera toujours quelqu’une.

Elles seront probablement de nature assez différente. L’histoire, dans la variété de ses récits, nous faisant connaître l’homme sous tous ses aspects et même le suivant jusque dans les incidens de sa vie intérieure, il est légitime d’y chercher des leçons de morale générale ; mais, comme elle le montre surtout engagé dans les affaires publiques, citoyen et magistrat, il semble naturel qu’elle soit politique avant tout. C’est bien ce qu’elle est devenue surtout de nos jours. Assurément, la politique tient aussi une grande place dans l’histoire ancienne, puisque cette histoire raconte principalement les luttes des nations entre elles et leurs révolutions intérieures, mais ce n’est pas pourtant de ce côté que d’elle-même elle incline. Quand Tacite dit « qu’elle apprend à distinguer ce qui est honnête ou criminel, ce qui sert et ce qui nuit, » il veut parler des enseignemens qu’elle donne pour la vie ordinaire ; et il le précise encore plus lorsqu’il ajoute « qu’elle est l’école du plus grand nombre. » Les historiens romains sont donc plutôt des moralistes que des politiques. Il ne faut pas faire d’exception même pour Salluste. Sans doute un révolutionnaire comme lui, compromis dans les émeutes, discrédité par des amitiés fâcheuses ne semblait guère destiné à devenir un ’professeur de morale cependant la morale déborde chez lui. Sans parler de ses tirades vertueuses et de ses regrets du passé, quand il fait le portrait de Catilina, il ne nous donne guère que le détail de ses crimes. Il était bon de les connaître, mais nous aimerions encore mieux savoir d’une manière précise ce qu’il comptait faire et quel gouvernement il se proposait d’établir. Lorsque Salluste expose les causes qui ont amené la décadence de la République, il ne dit rien de la disparition de la classe moyenne, il parle à peine de l’absorption des petites propriétés dans les grandes, du détestable recrutement des citoyens par l’esclavage ; mais il insiste sur l’amour des plaisirs, sur l’orgueil, luxuria et superbia, et le fléau qui lui paraît le plus menaçant pour l’avenir, c’est le désir insatiable de s’enrichir, avaritia. Il n’a certainement pas tort, mais on voit bien que ce sont les causes morales de la décadence