Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’autre langue que le serbe. Ils ne s’en donnent pas moins à eux-mêmes le nom de Turcs. En Bosnie, comme dans presque tout l’Orient, l’Islam a oblitéré la notion de nationalité. C’est un des points par où le musulman diffère de ses voisins demeurés chrétiens. L’Islam est la seule patrie du vrai croyant. Si, en Albanie, en Bosnie même, le sentiment national commence à se réveiller, chez les Albanais ou chez les Bosniaques passés à l’Islam lors de la conquête turque, c’est au contact et sous l’influence des idées européennes. Mais, chez la masse des musulmans, la religion semble devoir, pour longtemps encore, étouffer tout sentiment national ou en remplir la place.

C’est que le Coran s’empare de l’être humain tout entier et façonne à nouveau les races et les peuples. De populations d’origine européenne, d’origine « aryenne » comme tes Bosniaques, le Coran, a fait en quelques générations, des Asiatiques, tant il est vrai que, loin d’être toujours le premier facteur d’une civilisation, la race le cède, souvent, en importance, à la religion. Un des Français qui connaissent le mieux l’Islam, M. Gervais Courtellemont, nous a donné une pittoresque étude des mœurs du Slave mahométan de Bosnie. Ce sont, aujourd’hui, les mœurs musulmanes de ses coreligionnaires d’origine touranienne ou sémitique, tant les hommes jetés dans le rigide moule du Coran tendent partout à se ressembler. Sur un point, cependant, le Slave musulman semble n’avoir pas répudié les mœurs de ses ancêtres. La polygamie, chez lui, paraît avoir toujours été rare ; elle le devient de plus en plus, on le sait, dans tous les pays islamiques. La femme du musulman de Bosnie, sa maison et sa famille n’en sont pas moins sous le joug des pratiques du Coran. La musulmane des villes est sévèrement voilée et tenue à l’écart des hommes. C’est ce voile de la femme qui met le plus d’obstacles entre le Slave musulman et ses congénères chrétiens ; c’est la femme qui lui rend malaisé de redevenir, comme les Slaves orthodoxes ou catholiques, un Européen. Si difficile que paraisse cette transformation du musulman en Européen et en homme moderne, elle rencontre moins d’obstacles en Bosnie que dans les contrées où le musulman est d’un autre sang et parle une autre langue que ses voisins chrétiens. La parenté de race ou de nationalité tend, déjà, malgré tout, à rapprocher l’élite de la jeunesse musulmane de ses compatriotes catholiques ou orthodoxes. L’évolution vers la civilisation occidentale, qui, sous le