Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À prendre les sentimens des populations, aujourd’hui, la politique autrichienne ne semble pas, sur ce point, avoir encore réussi à modifier les aspirations et à changer l’orientation nationale des habitans. Orthodoxes, catholiques, musulmans, continuent, pour la plupart, à se regarder comme étrangers les uns aux autres et à sympathiser avec leurs coreligionnaires des pays voisins, comme avec leurs vrais compatriotes. Interrogez un musulman, il vous répondra qu’il est « Turc, » bien que, le plus souvent il soit de pur sang slave, tout comme ses voisins chrétiens. Interrogez un paysan orthodoxe, — j’en ai moi-même fait plus d’une fois l’expérience, il vous dira : « Je suis Serbe ; » la qualité de Serbe lui paraissant inséparable de la profession de l’orthodoxie orientale. Quant aux catholiques, si tous les indigènes ne s’intitulent pas « Croates, » les sympathies de la plupart, en Bosnie de même qu’en Dalmatie, vont à la Croatie. Les groupemens confessionnels demeurent donc, aujourd’hui, comme avant l’occupation autrichienne, les principaux facteurs nationaux. Le pays se trouve ainsi coupé par les rivalités religieuses en trois tronçons rivaux ; si cette sorte de morcellement religieux et national y complique le gouvernement, on pourrait dire qu’il explique l’occupation autrichienne et qu’il est de nature à la faire durer.


II

Les Serbes orthodoxes constituent l’élément le plus considérable de la population bosniaque, sans toutefois y posséder la majorité. D’après le dernier recensement (1895), leur nombre dépasse le chiffre de 673 000 âmes, sur une population totale d’environ 1 577 000. Au premier recensement des pays occupés, en 1879, les Serbes orthodoxes n’étaient encore que 476 000 ; en 1885, ils étaient déjà 571 000. On voit la rapidité de la progression, en moins d’un quart de siècle. Il est probable que, aujourd’hui, le nombre des Serbes a largement dépassé le chiffre de 700 000 ; mais leur proportion numérique dans l’ensemble du pays a sans doute peu varié. La population de la Bosnie-Herzégovine, depuis que l’occupation autrichienne a rendu à ces beaux pays la paix et la sécurité, a en effet crû rapidement. C’est là un phénomène dont l’administration austro-hongroise a le droit de se faire honneur ; il n’a du reste, pour nous, rien d’étonnant ni d’insolite.