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du rite latin, est une terre essentiellement serbe, que le traité de Berlin a, indûment et temporairement, enlevée aux légitimes espérances du jeune royaume de Belgrade, mais qui, tôt ou tard, doit être comprise dans la Grande Serbie de l’avenir. Aux yeux des Croates, au contraire, si les catholiques sont en minorité dans la Bosnie (ils l’emportent, aujourd’hui, sur les orthodoxes en Herzégovine), leur nombre y augmente peu à peu par l’infiltration des Croates et des Dalmates, venus des pays voisins, si bien qu’avec le concours de leur clergé, et, au besoin, avec l’alliance des musulmans indigènes, ils ne désespèrent point de faire entrer un jour la Bosnie, comme l’Herzégovine, dans la Grande Croatie de leurs rêves. Ils font remarquer que cette Grande Croatie, à laquelle ils annexeraient également la Dalmatie, en majorité catholique, pourrait se constituer sous le sceptre même des Habsbourg, sans aucune mutilation de l’Empire. C’est ainsi que la Bosnie, disputée entre les ambitions nationales de Belgrade et de Zagreb (Agram), menace d’être une cause de division de plus entre les deux rameaux du tronc serbo-croate.

Le gouvernement autrichien ne se montre, il faut le dire, guère plus favorable aux prétentions des uns qu’à celles des autres. Il n’entend travailler ni pour le croatisme, ni pour le serbisme. S’il se défie manifestement de la propagande serbe et de l’attraction qui entraîne les orthodoxes des provinces occupées vers Belgrade ou vers Cettigné, il n’a guère plus de goût pour les ambitieuses aspirations d’Agram. Loin d’encourager les rêves des patriotes croates, Vienne et surtout Buda-Pest ne sourient guère plus à une Grande Croatie, dont l’existence inquiéterait les Hongrois, qu’à une Grande Serbie ou à un Grand Monténégro, qui seraient l’un et l’autre un centre d’attraction pour les Slaves du Sud de la monarchie dualiste.

Les naturelles défiances du gouvernement austro-hongrois font qu’il n’est pas plus disposé à laisser « croatiser » la BosnieHerzégovine qu’à la laisser « serbiser. » Sa politique tend plutôt à isoler les provinces occupées, à fortifier chez elles les instincts locaux, à développer en elles une sorte de conscience nationale bosniaque, qui les rende moins accessibles à la propagande serbe ou croate. L’avenir montrera s’il y a, en BosnieHerzégovine, assez d’élémens d’originalité pour que ce pays se développe, intellectuellement et politiquement, sans s’unir, d’une manière plus étroite, avec un de ses voisins.