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alors de la circonstance ou de l’occasion. Mais, d’une manière générale, il est au-dessus ou en dehors de la circonstance ; les « choses accomplies, » celles que la fortune ou la Providence on sauvées du naufrage de tout ce qui les entourait autrefois, et fixées dans la mémoire des hommes, sont désormais les seules qui sollicitent, qui émeuvent, qui exaltent son imagination ; il vit dans le passé et dans la pensée, « presque absent de son corps, » pour user de l’une de ses expressions ; et ceci encore est de l’ « épopée. »

Ce qui n’en est pas moins, c’est la manière dont tout est grandi dans la Légende, rendu légendaire au vrai sens du mot, et immobilisé


Dans quelque attitude éternelle
De génie et de majesté…


Souvenons-nous à ce propos que la poésie « épique » s’est appelée jadis « héroïque ; » et, de tous les traits qui peuvent la définir dans l’œuvre de Victor Hugo, rendons-nous compte qu’il n’y en a ni de plus significatif ni de plus profondément marqué que ce caractère d’héroïsme. Les choses mêmes y sont comme pénétrées de grandeur, et d’une grandeur plus qu’humaine, élargies ou amplifiées jusqu’à des proportions qui n’en changent point ni n’en altèrent la nature, mais seulement le rapport ordinaire avec la médiocrité de nos sens. À quoi maintenant, si nous ajoutons qu’elles sont en même temps, et par cela même, « symbolisées, ou chargées de plus de signification qu’elles n’en auraient si le poète ne les avait intérieurement animées du frisson qu’il éprouve lui-même en présence du mystère, il ne nous manquera plus qu’un seul des caractères de l’épopée. C’est celui qui la définit aux époques primitives, ou du moins très lointaines, dans l’Inde, par exemple ou en Grèce, et plus près de nous en Allemagne, comme étant le souvenir idéalisé d’un conflit sanglant de races ou de civilisations ennemies. Et parce que ce caractère est aussi celui qui sert à lier les épisodes successifs d’une Iliade ou d’un Ramâyana, c’est peut-être pour cela que la Légende des siècles n’est pas une épopée, mais un recueil de fragmens épiques.

Car, pour le « merveilleux » dont nos Poétiques faisaient autrefois l’âme de l’épopée, il y est, nous venons de le dire, ni « païen » ni « chrétien, » mais dans cette intensité de vie sourde