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premier volume des Contemplations, sont encore des recueils purement lyriques. Ils le sont, si le lyrisme consiste, pour une part, dans l’expression, dans l’expansion, dans l’étalage de la personnalité du poète ; — ils ne le sont pas moins, si le lyrisme consiste, pour une autre part, comme le croyait Goethe, à ’s’inspirer de la circonstance, afin d’en dégager ce que l’ « actualité contient souvent de poésie latente ; — ils le sont encore, et ils le sont surtout, si nous remontons jusqu’aux origines mêmes du lyrisme, et que, conformément à l’étymologie du mot, nous le définissions comme l’alliance ou l’intime union de la poésie et de la musique.

J’insiste un peu sur ce dernier point.

Sainte-Beuve a écrit, dans une page malheureuse de ses Nouveaux Lundis : « L’Ode n’a plus aujourd’hui de destination, d’occasion présente, de point d’appui dans la société. Née pour être chantée, si bien que son nom est synonyme de chant, elle n’est plus qu’imprimée. Le poète qui se consacre à l’Ode est un chanteur qui consent à se passer d’auditoire actuel et d’amphithéâtre: l’Ode est une pièce qui n’a plus de représentation pratique. » On voit par ces lignes, datées de 1859, que le temps n’avait pas adouci les rancunes lointaines du critique, ni les regrets inapaisés du « poète mort jeune ; » et, de fait, Sainte-Beuve, à l’abri de la théorie de l’Ode grecque et du nom de Pindare, n’a fait là qu’épancher sa bile. Mais ne saurait-on chanter qu’en « chœur » ou dans l’amphithéâtre ; et, s’il faut qu’après trois mille ans, le nom d’Ode soit toujours « synonyme de chant, n’y a-t-il donc pas des chants intérieurs ? C’est ce que Sainte-Beuve avait oublié. Les genres « évoluent, » comme aussi bien toute chose en ce monde, et on ne meurt pas d’avoir évolué, puisque au contraire on en vit : Si l’Ode grecque était une chose, et que l’Ode moderne en fût une autre, nous ne devrions pas éprouver plus de scrupule à nommer du même nom les Pythiques et les Orientales, que nous n’en éprouvons couramment à nommer du nom de Roman des œuvres aussi différentes entre elles que Flore et Blanchefleur, d’une part, et, de l’autre, Madame Bovary. Mais ce qu’il faut dire ici de plus, c’est que, « si le nom d’Ode est synonyme de chant, » la poésie d’Hugo est « chantante » de la profondeur de son inspiration, et, à notre tour, nous prenons ce mot d’inspiration dans son sens étymologique. Elle est « lyrique » de la liberté, de la souplesse, de la variété de son