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La scène moderne dramatise leurs étonnantes conceptions. J’allai voir, dans les combles de son théâtre, où il se grimait en Européen, Kawakami, ce diable de Kawakami qui, depuis, a conquis l’Europe et l’Amérique. Après les salamalecs qu’il me fit agenouillé au milieu de ses fioles, ses premières paroles furent

— Vous avez à vos pieds, monsieur, un humble comédien qui tient à honneur de réformer le théâtre japonais. Sa troupe d’étudians jouait alors cinq actes intitulés Une merveilleuse entreprise. Merveilleuse en effet, car elle ne tendait à rien moins qu’à installer au sommet du mont Fuji un bec électrique si puissant que la nuit n’existerait plus dans tout l’empire du Nippon. Cette idée, dont le public ne sentait peut-être pas toute la valeur symbolique, éclairait d’une impayable drôlerie le plus obscur des mélodrames. Les acteurs avaient répudié la mélopée traditionnelle et cette voix de tête que les conventions leur imposent et que parfois les Japonais en goguette imitent si plaisamment le long des rues. Ils ne dansaient plus leurs pugilats, mais ils déclamaient des articles de journaux et s’assassinaient de vertueuses tirades. Le bouddhisme y était houspillé en la personne d’un moinillon qui avait tant bu de saké que, suivant l’expression japonaise, le saké l’avait bu. « Ivrogne et paillard comme tous tes pareils, s’écriait un des électriciens de la pièce, rebut d’un siècle de lumière, ne te reste-t-il aucune vergogne que tu te vautres dans ton ordure, quand les sauvages de Formose ignorent jusqu’au nom de Bouddha ? » Et le moinillon, comme traversé d’un courant électrique, sursautait et gémissait : « 0 mon bienfaiteur, vous m’ouvrez les yeux : je serai le lotus de la boue, et je cours évangéliser nos frères de Formose !

Un soir, je fus reçu dans un des plus grands séminaires bouddhiques de Tôkyô. Il me paraissait bien que toutes les rumeurs de la vie dussent expirer autour de ce vaste enclos enseveli de ténèbres et de silence. Çà et là, d’un petit corps de logis d’où filtrait une lueur, la voix cassée d’un bénédictin du nirvâna chevrotait des litanies hindoues. Des mains, d’une cire transparente sous le falot que soutenaient leurs doigts émaciés, me guidèrent par des ponts et des corridors jusqu’à une pièce centrale dont la lumière parfumée s’épanouissait au cœur de la nuit. Il s’élevait des braseros une senteur de cassolette. Dans le doux