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Entrons dans les officines où ils achètent quotidiennement un si bel appétit. Les bureaux d’un journal japonais ne seraient pas plus délabrés, quand des siècles de travail y auraient accumulé leur poussière. Les reporters écrivent sur des espèces d’établis crasseux, pendant que les typographes déguenillés chantent en composant leurs innombrables caractères. Seul le cabinet du directeur est quelquefois balayé, comme en témoignent les balayures entassées à sa porte. Le personnel des journalistes, sans cesse renouvelé, élabore chaque nuit le même oracle qui, chaque matin, corne aux oreilles japonaises : Réformons-nous ! Ils veulent tout réformer, ce qui n’est plus, ce qui demeure, ce qui vient de naître, ce qui n’est pas encore. « Nos députés sont déjà corrompus et nos prêtres le sont toujours. Il faut épurer la magistrature, abolir les nouveaux titres de noblesse, refondre l’Université, amender nos éducateurs, moraliser nos marchands, corriger nos mœurs, régénérer le Japon ! » Il faudrait aussi l’enrichir, car, si les professeurs vivotent, les officiers s’endettent, les députés besoigneux sont tombés en un tel décri que les propriétaires refusent de louer leur maison à ces écornifleurs nationaux, et les écrivains vendent leur prose au rabais. Leur talent de satire et de caricature, confiné jusqu’ici dans les arts du dessin, s’épanche librement sur la presse des éditeurs. Avec une imprudence où les encourage la lecture des journaux européens, ils n’attendent pas les résultats d’une expérience pour la remettre en question. Ce sont gens qui détellent au milieu du gué.

Le pédantisme glace souvent leur verve naturelle. Fanfarons de science, ils mêlent à leurs rodomontades d’inconcevables naïvetés. Vous lirez dans une revue philosophique des phrases comme celle-ci : « Nous finissons l’Occident et commençons l’Orient : il convient que le Japon donne au monde un grand génie synthétique. » Un des journaux les plus sérieux demande qu’on réédifie l’Université sur un plan nouveau. Et d’abord il propose de fonder une Faculté supérieure aux Facultés supérieures, puis il somme le gouvernement de la placer sous la direction d’un homme de génie. « Quel esprit nous avons ! s’écrie une gazette. Nous sommes vraiment les Français de l’Extrême-Orient. » « Nous en sommes les Allemands, réplique une autre considérez plutôt nos canons et nos mitrailleuses. » - « En vérité, répond une troisième, il saute aux yeux que nous en sommes les Anglais. »