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de la vie accuse la dérisoire insuffisance. Leur pauvreté n’a plus le cachet du désintéressement ; c’est un déchet de noblesse. La liberté dont ils jouissaient, lorsqu’ils ne dépendaient que des familles de leurs élèves, s’est évanouie du jour où le gouvernement a mesuré leur mérite et contrôlé leurs actes.

Pour peu qu’ils s’écartent des prescriptions officielles, on les casse aux gages avec d’autant moins d’hésitation que ce sont d’humbles salariés. Un professeur de l’Université écrit un article de revue où il discute l’origine céleste des premiers empereurs, on le révoque. Un autre oublie de s’incliner à la lecture de l’Ordonnance Impériale, seuls commandemens de Dieu des écoles japonaises, et qui enjoint aux enfans le travail et la politesse, son directeur le met sur le pavé. « Mais, s’écrient les journaux, quelle sanction réserve-t-on aux étudians et aux élèves qui, tout en saluant les Ordres de Sa Majesté, y désobéissent trois cent soixante-cinq jours par an ? » On se garderait bien d’y toucher. Selon le mot énergique d’un maître japonais, le vrai ministre de l’Instruction publique, c’est l’élève.

Dans mon passage à travers les collèges, rien ne m’a plus frappé que l’air minable des professeurs, plus minable sous la corde râpée de leurs vêtemens européens, qu’ils portent comme un uniforme de gardes-chiourme. Tristes gardes qui ont déjà beaucoup de peine à se garder eux-mêmes ! De 1889 à 1897, en l’espace de huit ans et dans les écoles de quarante préfectures, on a compté environ cent cinquante révoltes d’élèves. Quant aux institutions privées, j’ai eu entre les mains le rapport d’un inspecteur délégué par le ministère il.se plaignait qu’elles devinssent des auberges où tous les moyens semblent bons pour amorcer la clientèle. On y annonce des cours de pédagogues distingués qui, moyennant un petit cadeau, acceptent de prêter leur nom sans jamais y hasarder leur personne. On y entasse jusqu’à cent écoliers sous la férule d’un même régent mal payé et moins préoccupé de les instruire que de résoudre le dur problème de vivre. Les élèves n’y rentrent pas à jour fixe : c’est un va-et-vient de jeunes touristes devant qui le patron s’empresse. Du maître jadis honorable et honoré, le nouveau régime a fait un marchand de soupe et un cuistre.

Le gouvernement a bâti ses collèges sur d’immenses terrains et dans l’odeur de la verdure. Devant la berge ombragée d’un large canal, l’École Normale de Tôkyô s’étend comme une demeure